Les cash-flows disponibles, le vrai révélateur

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Dans toute analyse d’actions, les flux de trésorerie disponibles devraient primer la rentabilité. Certes, celle-ci compte mais contrairement à ce que l’on croit généralement, le bénéfice net n’est pas déterminant. La marge opérationnelle, ou marge d’exploitation, permet d’évaluer bien plus précisément les forces et les promesses d’une entreprise.

Lorsqu’on investit, c’est pour dégager une plus-value. Mais, étonnamment peut-être, le bénéfice acté par les sociétés n’est pas leur indicateur de qualité par excellence: les éléments les plus révélateurs sont les flux de trésorerie disponibles et le rendement obtenu sur les capitaux et les ressources mis en oeuvre.

Les bénéfices peuvent mentir mais les flux de trésorerie, pas, entend-on souvent dire. Médias, analystes, directions et investisseurs accordent une importance excessive aux profits, aux marges bénéficiaires et au bénéfice par action alors qu’en définitive, son cash-flow disponible est le meilleur baromètre de la santé d’une entreprise. Car contrairement au bénéfice, chiffre purement comptable extrait du compte de résultat, le tableau des flux de trésorerie donne une image réelle des mouvements de liquidités sur l’exercice. Or c’est autour de cela que tout tourne: l’entreprise doit engranger suffisamment de liquidités sur la vente de ses produits ou services pour couvrir ses dépenses de personnel et ses frais de maintenance, payer ses fournisseurs et assurer sa production.

Toute entreprise a trois types de flux de trésorerie. Le flux de trésorerie opérationnel, ou d’exploitation, est le reflet des rentrées et des sorties générées par l’exploitation. Le flux d’investissements est la somme des dépenses et des investissements consentis pour l’exercice, voire le développement, des activités. Enfin, les flux financiers font référence aux produits et aux dépenses de financement, comme les prêts et les dividendes.

L’entreprise réalise par ailleurs deux types d’investissements: l’un, pour maintenir ses activités (investissements de maintenance) et l’autre, pour les développer (investissements dans la croissance). Les cash-flows disponibles sont le résultat de la soustraction des investissements de maintenance du cash-flow opérationnel: ce qui subsiste est le flux de trésorerie dont l’entreprise peut librement disposer pour rembourser ses dettes, verser des dividendes, racheter ses propres actions ou investir dans la croissance, entre autres. Le dernier tableau des flux de trésorerie du Groupe Tessenderlo fait état d’un cash-flow opérationnel de 282 millions d’euros et d’immobilisations corporelles de 100 millions d’euros: le groupe chimique a donc pour 182 millions d’euros de cash-flows disponibles.

Rendement du cash-flow disponible

Comparer les flux de trésorerie disponibles d’une société cotée à sa valeur boursière totale permet d’obtenir le rendement des cash-flows disponibles. Plus ce rendement est élevé, plus les flux de trésorerie disponibles par action le sont aussi et plus l’entreprise a de quoi rémunérer ses actionnaires ou investir dans sa croissance. Le rendement du cash-flow disponible de Tessenderlo atteignait 12% à la fin de l’an passé, contre 9% en décembre 2019. L’enseigne belge a donc réussi à faire progresser ses flux de trésorerie disponibles par rapport à sa capitalisation boursière. D’après des recherches menées par Standard & Poor’s, les entreprises dont le rendement des flux de trésorerie disponibles est supérieur à la moyenne font également mieux que les autres en Bourse.

En 2019 et 2020, le spécialiste français des matériaux de construction Saint-Gobain a allégé ses dépenses de 250 millions d’euros et réalisé pour plus d’un milliard d’euros de gains d’efficacité, ce qui a permis à ses cash-flows disponibles de croître de plus de 60% en glissement annuel en 2020, alors que le bénéfice opérationnel et le bénéfice net cédaient du terrain. Ses bénéfices sont donc moins abondants que ses flux de trésorerie, ce qui ne l’empêche pas d’être en excellente santé. Même les sociétés en perte nette peuvent avoir des flux de trésorerie disponibles positifs. Le groupe néerlandais de livraison de repas Just Eat Takeaway.com (JET) a accusé l’an passé une perte de 151 millions d’euros, alors qu’il a généré pour 134 millions de cash-flows disponibles; étant donné ses ambitions de croissance, cette somme n’ira pas aux actionnaires, mais sera entièrement réinvestie.

Les cash-flows disponibles sont très influencés par les besoins d’investissement. Les entreprises actives dans des secteurs peu innovants, dont les méthodes de production n’évoluent plus, nécessitent beaucoup moins d’investissements que les jeunes sociétés en croissance – elles peuvent générer des cash-flows disponibles stables au moyen d’investissements relativement réduits. L’industrie du tabac en est un exemple typique. Les cash-flows disponibles des entreprises en croissance sont, eux, souvent négatifs: la direction investit beaucoup plus qu’elle n’acte de revenus opérationnels.

Ebit et ROCE

Dans toute analyse d’actions, les flux de trésorerie disponibles devraient donc primer la rentabilité. Certes, celle-ci compte mais contrairement à ce que l’on croit généralement, le bénéfice net n’est pas déterminant. La marge opérationnelle, ou marge d’exploitation, permet d’évaluer bien plus précisément les forces et les promesses d’une entreprise. Egalement appelée marge d’Ebit (earnings before interest and taxes), la marge opérationnelle indique la mesure dans laquelle l’activité principale est rentable, indépendamment de la fiscalité et de l’endettement de la société.

Il existe de grandes divergences entre les secteurs. Les groupes industriels, qui exploitent des usines et emploient une main-d’oeuvre abondante, enregistrent des dépenses beaucoup plus élevées et donc, des marges plus restreintes, que les entreprises peu capitalistiques (asset light). Les marges opérationnelles de Tessenderlo et de Saint-Gobain s’élèvent à 10% et 7,5% respectivement, contre 45% pour celle du gestionnaire d’actifs BlackRock. JET affiche, lui, une perte opérationnelle, ce qui signifie qu’il ne génère pas suffisamment de revenus pour couvrir ses dépenses. La marge d’Ebit est, on le voit, particulièrement adaptée lorsqu’il s’agit de comparer la rentabilité de noms d’un même secteur et d’estimer à quel point une entreprise fait une utilisation rentable des ressources nécessaires à son activité principale.

Le rendement dégagé sur les ressources est révélateur de la rentabilité et de l’efficacité de la société. Les divers acronymes employés dans ce contexte (ROCE, pour return on capital employed, ROIC, pour return on invested capital) répondent en fait tous à la même question: quel rendement l’entreprise obtient-elle des actifs et des capitaux utilisés pour son exploitation? En d’autres termes, quel bénéfice opérationnel réalise-t-elle sur chaque euro qu’elle dépense en stocks, bâtiments, machines et capitaux? Les ratios de rendement opposent donc le bénéfice opérationnel à la somme de ces différents postes du bilan.

Indicateurs de qualité

Les ratios de rendement donnent une idée de la qualité de l’entreprise et de sa direction. L’enseigne qui obtient, avec les mêmes ressources, une rentabilité supérieure à celle de ses rivales, est tout simplement meilleure. Les marges bénéficiaires ordinaires comparent l’Ebit ou le résultat net au chiffre d’affaires total, mais ROCE et ROIC combinent des éléments issus du compte de résultat et du bilan, ce qui permet d’obtenir une image plus complète. Ici aussi, les différences entre les secteurs sont considérables. Les entreprises qui réalisent d’abondants bénéfices avec peu d’actifs, comme les sociétés de logiciels ou les prestataires de services financiers, obtiennent des ratios plus élevés, ce qui ne les rend toutefois pas plus dignes d’intérêt que les sociétés industrielles, par exemple.

Considérés seuls, les ratios de rendement sont peu éloquents. Ce qui importe, c’est que la rentabilité progresse. Le bénéfice étant un élément purement comptable, l’investisseur accordera la priorité à d’autres facteurs, à commencer par les flux de trésorerie disponibles. S’agissant de la rentabilité, c’est le bénéfice des activités opérationnelles qui compte surtout.

Série “Les ratios”

Les ratios de valorisation – les “multiples”, dans le jargon financier – sont omniprésents dans l’univers des investissements. C’est d’eux que s’inspirent les décisions d’achat. Il existe énormément de ratios, dont chacun met en lumière un aspect particulier d’une action et de la société à l’origine de son émission. L’ensemble de ces ratios permet de se faire une idée de la santé financière et du potentiel de rendement des sociétés cotées en Bourse. L’Initié de la Bourse consacre actuellement six articles aux plus importants et plus prisés d’entre eux:

1) Lire ici: cours/bénéfice

2) Lire ici: cours/valeur comptable

3) Lire ici: EV/Ebitda

4) Lire ici: ratios d’endettement

5) Lire ici: ratios de bénéfices

6) Le présent article: marges bénéficiaires et cash-flows disponibles

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