Le ratio EV/Ebitda gagne en popularité

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Pour aider ses lecteurs à y voir plus clair, l’Initié de la Bourse se plonge dans les ratios de valorisation les plus importants et les plus populaires et dispense quelques conseils sur la manière de les exploiter. Au programme cette semaine: le ratio EV/Ebitda.

Le rapport valeur de l’entreprise (EV, pour enterprise value)/cash-flows opérationnels (Ebitda) gagne en popularité auprès des investisseurs et, surtout, des analystes, depuis quelques dizaines d’années. Il est issu du monde du capital-investissement (private equity), où les entreprises sont depuis longtemps déjà valorisées sur la base de leur Ebitda. A l’instar du rapport cours/bénéfice (C/B), le ratio EV/Ebitda oppose un certain type de bénéfice à une certaine définition de la valeur de l’entreprise.

Au numérateur, donc, la valeur de l’entreprise. Que l’on obtient en partant de la capitalisation boursière, à laquelle on ajoute les dettes financières et dont on déduit les liquidités inscrites au bilan. La valeur de l’entreprise est aussi appelée valeur de reprise car lors d’un rachat, les dettes font partie du package. Pour prendre un exemple issu du portefeuille de l’Initié, le producteur belge de langes Ontex a une capitalisation boursière d’environ 890 millions d’euros; il avait également, fin 2020, quelque 1.280 millions d’euros de dettes financières et 430 millions d’euros de liquidités. Son endettement net s’établissait donc à 850 millions d’euros, un chiffre presque aussi élevé que sa capitalisation boursière. Additionnés, capitalisation et endettement net donnent une valeur d’entreprise de 1.740 millions d’euros. L’EV fournit donc une image plus complète de l’entreprise que sa seule valeur boursière.

Au dénominateur, l’Ebitda renseigne sur la rentabilité opérationnelle de la société. Il est situé, dans le compte de résultat, légèrement au-dessus du bénéfice net, lui-même utilisé pour le calcul du rapport C/B. Le compte de résultat est une sorte d’escalier, dont la marche la plus élevée est le chiffre d’affaires (CA); sont ensuite déduits, marche après marche, différents coûts, comme les dépenses administratives, les charges d’intérêts et les dépenses de recherche et développement (R&D), pour finir, tout en bas, avec le bénéfice net.

Retour sur investissement

L’Ebitda se situe approximativement à mi-chemin entre le CA et le bénéfice net. “Ebitda” est l’abréviation de bénéfice net avant intérêts, impôts, dépréciations et amortissements (earnings before interest, taxes, depreciation and amortization). La première partie, l’Ebit, est le résultat opérationnel: s’il est positif, l’entreprise tire un bénéfice de son activité principale (la vente de voitures pour Volkswagen, d’espaces publicitaires en ligne pour Facebook, l’offre de services de conseil pour Accenture); s’il est négatif, la société accuse une perte. L’Ebit exprime la rentabilité de l’exploitation, indépendamment des impôts et des charges d’intérêts qui pèsent sur l’entreprise.

L’Ebitda exclut deux autres éléments encore: l’amortissement des investissements en immobilisations corporelles, tels que les bâtiments ou les machines, et la dépréciation des investissements en immobilisations incorporelles, comme les marques ou les brevets. Il donne donc le résultat opérationnel de l’entreprise en dehors de ses impôts et charges d’intérêts, mais aussi des sommes qu’elle investit pour développer ou maintenir ses activités.

Ontex a achevé l’exercice 2020 sur des cash-flows opérationnels de 198 millions d’euros. Lorsque l’on divise la valeur de l’entreprise par ce chiffre, l’on obtient un multiple de valorisation de 8,8. Un ratio qui ne dit rien du caractère éventuellement onéreux de la société en Bourse, mais sert principalement à la comparer avec ses pairs et à étudier l’évolution de sa propre moyenne historique.

L’EV/Ebitda est étroitement lié au retour sur capitaux investis (return on invested capital, ou ROIC), mesure de l’efficacité avec laquelle l’entreprise emploie ses capitaux et crée de la valeur pour assurer sa croissance. Les entreprises dont le ROIC est élevé ont donc des ratios EV/Ebitda supérieurs. Ontex affiche actuellement un EV/Ebitda de7, contre 18 pour Procter & Gamble, active dans le même secteur; mais avec un ROIC de près de 13%, contre 4% pour Ontex, Procter est beaucoup plus rentable.

Paramètre opérationnel

L’EV/Ebitda permet de comparer des entreprises entre elles, quelle que soit l’importance de leurs investissements. Une société qui investit et, dès lors, amortit, beaucoup, comprime ses bénéfices et obtient un ratio C/B plus élevé qu’une société qui investit peu, alors que leurs EV/Ebitda pourraient bien exprimer une valorisation équivalente. Les valoriser sur la base de leur Ebitda revient à ne pas tenir compte des investissements, pour ne considérer que le résultat opérationnel.

Il en va de même des charges d’intérêts et des impôts: l’entreprise active dans un pays où les charges sont élevées engrangera moins de bénéfices que ses concurrentes étrangères, ce qui n’empêchera pas nécessairement son activité d’être tout aussi rentable. De même, une entreprise très endettée paie des intérêts élevés, qui obèrent son bénéfice net. Le cash-flow opérationnel ne tenant pas compte de ces éléments, il permet de comparer les performances opérationnelles des entreprises d’un même secteur, indépendamment de leur stratégie, des investissements, des taux d’imposition et des charges d’intérêts. Des sociétés dont les bénéfices nets sont très différents peuvent afficher de tout aussi bons chiffres sur le plan opérationnel, ce que révèle l’EV/Ebitda.

Ce ratio n’est toutefois pas utilisable partout. Il permet de comparer des entreprises actives dans des secteurs qui investissent massivement dans la maintenance et la préservation de leurs activités, comme les sociétés industrielles et les sociétés spécialisées dans les biens de consommation, l’énergie ou les télécommunications; pour les biotechs grandes consommatrices de liquidités et pour les jeunes pousses qui investissent énormément dans leur croissance, en revanche, il est peu éloquent.

Débat

L’Ebitda lui-même fait débat. Il n’est pas officiellement reconnu par les normes comptables internationales, comme les GAAP ou les IFRS. Les entreprises ne sont donc pas tenues de le calculer et de le publier d’une manière strictement définie, si bien que certaines se hasardent à ne pas tenir compte de certaines charges exceptionnelles ou à pratiquer divers ajustements, par exemple, d’où les dérivés de l’Ebitda (“Rebitda”, “Ebitdar”, “Ebitdac”, etc.) qui émaillent les rapports annuels. Méfiez-vous-en et concentrez-vous sur le seul Ebitda, c’est-à-dire le résultat opérationnel (Ebit) plus les dépréciations et amortissements (DA). Charlie Munger, le bras droit de Warren Buffett, a un jour comparé l’Ebitda à un bénéfice ” bidon “. Warren Buffett reproche quant à lui à ce paramètre de ne pas tenir compte des coûts que l’entreprise supporte réellement, comme les impôts et les amortissements – une stratégie dangereuse, estime-t-il.

Les cash-flows opérationnels peuvent également différer considérablement en fonction de la méthode comptable utilisée. Le développeur belge de puces Melexis ne comptabilise pas ses dépenses de R&D comme des investissements à amortir, mais immédiatement au coût; ce qui réduit son Ebitda, au profit d’un ratio EV/Ebitda potentiellement plus élevé que les autres. Mais cela ne dit rien de ses flux de trésorerie, qui demeurent abondants et sains.

L’EV n’est pas dépourvue de pièges: à la dette nette peuvent venir s’ajouter des engagements pertinents pour la valorisation. Des obligations en matière de pension, par exemple. Agfa-Gevaert en comptabilisait pour 956 millions d’euros fin 2020. Il ne s’agit pas de dettes financières, mais d’engagements auxquels le groupe belge de technologie d’imagerie a souscrit et qu’il est par conséquent préférable de considérer comme une dette nette. Ce qui, dans son cas, fait passer le ratio EV/Ebitda d’un dérisoire 1,5 à 11,2.

Comme tous les ratios de valorisation, l’EV/Ebitda doit être accompagné et nuancé. Il permet d’évaluer l’activité principale de l’entreprise, mais l’efficacité avec laquelle celle-ci utilise son capital et appréhende ses investissements est fondamentale également.

Série “Les ratios”

Les ratios de valorisation – les “multiples”, dans le jargon financier – sont omniprésents dans l’univers des investissements. C’est d’eux que s’inspirent les décisions d’achat. Il existe énormément de ratios, dont chacun met en lumière un aspect particulier d’une action et de la société à l’origine de son émission. L’ensemble de ces ratios permet de se faire une idée de la santé financière et du potentiel de rendement des sociétés cotées en Bourse. L’Initié de la Bourse consacre actuellement six articles aux plus importants et plus prisés d’entre eux:

1) Lire ici : cours/bénéfice

2) Lire ici : cours/valeur comptable

3) Le présent article : EV/Ebitda

4) En ligne le 25/6: ratios d’endettement

5) En ligne le 2/7: ratios de bénéfices

6) En ligne le 9/7: marges bénéficiaires et cash-flows disponibles

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