Bien interpréter le rapport cours/bénéfice

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Pour aider ses lecteurs à y voir plus clair, l’Initié de la Bourse se plonge dans les ratios de valorisation les plus importants et les plus populaires et dispense quelques conseils sur la manière de les exploiter. Il entame la série par l’examen du ratio cours/bénéfice.

Le plus connu des ratios de valorisation est sans doute le ratio cours/bénéfice (C/B), qui examine le rapport entre le cours de l’action d’une entreprise et le bénéfice que celle-ci dégage. Si un titre s’échange à 20 euros et que la société acte un bénéfice de 2 euros par action, son C/B s’élève à 10; en d’autres termes, l’investisseur débourse 10 fois le bénéfice pour acquérir l’action.

Le ratio C/B permet de savoir si une action est chère – plus il est bas, moins l’action est onéreuse, et inversement. Reste que les choses ne sont pas toujours aussi tranchées. Car il a beau être le paramètre de valorisation le plus populaire et le plus utilisé, il compte aussi parmi les plus martyrisés et les plus mal compris par les investisseurs. Les erreurs sont courantes, comme celle qui consiste à croire que les C/B inférieurs à 10 sont bon marché et tous les autres, chers. Le sujet mérite donc d’être nuancé et contextualisé.

Le bénéfice est tout relatif

Commençons par le dénominateur de la fraction: le bénéfice. Le bénéfice net est un des chiffres les plus manipulés du monde financier. Les entreprises déploient des trésors de créativité pour pouvoir annoncer un bénéfice par action aussi élevé que possible, souvent parce que le bonus de la direction en dépend. Elles paient par exemple les fournisseurs le plus tard possible et enregistrent leurs ventes à des allures records, afin d’augmenter les bénéfices et de réduire les dépenses. Des produits exceptionnels (produit de la vente d’une activité ou d’une commande particulièrement rémunératrice, par exemple) peuvent également propulser les bénéfices vers le haut. En 2020, le spécialiste belge de l’isolation Recticel a cédé plusieurs divisions, pour un montant de 69 millions d’euros; son bénéfice net s’est ainsi établi à 63 millions d’euros, contre une perte de 6 millions d’euros précédemment. Si les bénéfices d’un exercice donné s’envolent et que le cours (le numérateur) ne suit pas, l’action pourra sembler bon marché; mais lorsque, l’année suivante, les bénéfices renoueront avec des niveaux normaux, le rapport C/B rebondira. L’inverse est vrai également: des charges exceptionnelles élevées (la dépréciation d’un investissement, par exemple) peuvent obérer les bénéfices d’une entreprise; si le cours de l’action demeure inchangé, la valorisation augmentera et le titre paraîtra plus cher.

Pour annuler cette sensibilité aux événements ponctuels et aux contorsions comptables, il convient d’examiner, outre le C/B, le rapport entre le cours et le chiffre d’affaires total. Le chiffre d’affaires est le chiffre d’affaires (CA): cette toute première ligne du compte de résultat n’est en rien manipulable. Les rapports C/B et C/CA évoluent la plupart du temps au même rythme. Une brusque chute du C/B alors que le C/CA ne bouge pas peut être l’expression d’une sous-valorisation temporaire, dont l’investisseur pourra profiter pour acheter.

Les bénéfices futurs comptent

Il convient aussi de savoir sur quoi porte le bénéfice annoncé exactement. Les sites internet évoquent souvent le bénéfice de l’année écoulée alors que pour l’investisseur, ce sont les bénéfices du prochain exercice qui comptent. Voyez donc toujours ce qu’il en est.

La compagnie maritime belge Euronav ayant enregistré des bénéfices records l’an passé, son ratio C/B calculé sur les 12 derniers mois est à peine supérieur à 4. A 102, le C/B basé sur les bénéfices escomptés pour cette année est, lui, plus élevé que jamais: nombreux sont donc les analystes qui s’attendent à ce qu’Euronav ne réalise pas, ou quasiment pas, de bénéfices cette année. A l’inverse, le spécialiste français des matériaux de construction Saint-Gobain a achevé le dernier exercice sur des bénéfices modestes, ce qui a porté à 64 le ratio C/B des 12 derniers mois. Les mesures drastiques décidées par la direction permettant de s’attendre à des bénéfices bien plus élevés en 2021, le ratio C/B affiche désormais 15.

De nombreux sites internet et courtiers en Bourse mentionnent le bénéfice par action sur lequel les analystes (le “consensus”) misent pour l’année à venir. Cette donnée permet de calculer le C/B escompté.

Observez le secteur

A lui seul, le ratio C/B ne permet pas de savoir si une action mérite la dépense: il convient de toujours le comparer aux ratios d’autres entreprises du secteur, ainsi qu’à la moyenne historique de la société elle-même. Si le C/B est inférieur à la moyenne des 10 dernières années, l’action est peut-être sous-valorisée. Il y a toutefois souvent de bonnes raisons pour qu’une société se négocie à un cours bas, comme la perte d’un client important – une fois encore, la faiblesse du C/B ne peut justifier que l’on achète les yeux fermés. Evoquons également la comparaison entre concurrents: payer beaucoup moins pour une action que pour ses rivales peut être une aubaine. A la fin du mois de février, Volkswagen affichait un C/B de 6, tandis que le ratio de BMW, Toyota et Daimler fluctuait entre 9 et 11. Après l’annonce des résultats du groupe et de son intention de passer au tout-électrique, l’action Volkswagen a rapidement rejoint ses concurrentes.

Le C/B dépend aussi beaucoup du type de société auquel on a affaire. Les entreprises établies, dont le modèle commercial est bien connu, affichent des valorisations plus faibles que les jeunes sociétés en croissance, dont les bénéfices sont modestes… si tant est qu’ils existent. Sur le marché depuis plusieurs années, le spécialiste de la cybersécurité Check Point affiche un C/B de 17, contre 49 pour la toute jeune Fortinet. Les nouveaux venus dans ce secteur, comme Okta, Crowdstrike ou Zscaler, n’évoquent même pas leur C/B puisqu’ils n’ont pas encore réalisé un seul centime de gain: pour eux, ce paramètre n’est pas pertinent. Le C/B de l’ensemble du secteur de la construction automobile, qui réunit davantage d’entreprises value bien établies, est plus faible que, mettons, celui du secteur technologique, où les entreprises de croissance sont plus nombreuses. L’on ne peut donc se contenter d’observer le ratio C/B d’une action: il faut aussi savoir à quel type de société l’on a affaire, et le secteur dans lequel elle est active.

Le cash est roi

Aswath Damodaran, professeur d’analyse boursière à l’université Stern de New York, compile chaque année les ratios C/B moyens de tous les secteurs, un travail qui révèle d’importantes divergences entre ces derniers. Par exemple, les 72 entreprises aérospatiales américaines se négocient à 122 fois en moyenne le bénéfice escompté, contre 17 fois seulement pour les 32 groupes sidérurgiques recensés.

Le profit est le moteur des entreprises et donc, de l’investisseur. Moins celui-ci paie les bénéfices que ses investissements génèrent, mieux c’est. Le ratio C/B est un repère, certes, mais un repère parmi d’autres: il faut également tenir compte de la valorisation historique de l’entreprise ainsi que du contexte et du secteur dans lesquels celle-ci s’inscrit.

Les cash-flows sont plus importants encore. “Le bénéfice est vanité, le cash-flow est raison” est un adage que tous les investisseurs devraient avoir en tête. Car ce qui compte finalement pour eux, ce sont les flux de trésorerie générés par l’entreprise.

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