Les chaînes de supermarchés, gagnantes de la crise

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En incitant les Belges à constituer des réserves et le gouvernement, à fermer les commerces horeca, la pandémie fait les beaux jours de la grande distribution.

Si le Covid-19 paralyse de nombreux pans de l’économie, tous les secteurs ne se plaignent pas, celui de la distribution, surtout alimentaire, moins encore que d’autres. En incitant les Belges à constituer des réserves, la pandémie a dopé le chiffre d’affaires (CA) des chaînes de supermarchés. La fermeture du secteur horeca a encore amplifié le phénomène.

Profits et charges

Certes, l’on ne peut constituer indéfiniment des réserves – les stocks de nombreux Belges débordent désormais. Mais le secteur de la distribution devrait continuer à bien se porter un temps encore, car la réouverture des commerces horeca sera lente. Autre élément encore: le gouvernement a interdit les promotions, ce qui augmente d’autant le CA de l’activité. La frénésie d’achats engendre néanmoins des dépenses supplémentaires; Delhaize, par exemple, déclare avoir affecté 170 millions d’euros au renforcement de la sécurité, au soutien des effectifs, au nettoyage des magasins et à l’embauche d’étudiants, voire de salariés, car l’absentéisme est beaucoup plus élevé que d’ordinaire.

Ahold Delhaize: le mieux placé

Ahold Delhaize, né de l’acquisition de Delhaize par Ahold, gère 6.500 points de vente répartis dans 11 pays, les Etats-Unis (Food Lion) étant le plus important de ses marchés. Plus de 50 millions de clients franchissent chaque semaine les portes d’un Ahold Delhaize. Le groupe sera sans doute particulièrement bien placé ces prochains mois. Son titre a du reste d’ores et déjà digéré le choc lié à la pandémie, puisqu’il vaut à peu près autant aujourd’hui qu’il y a un an. Le CA tant européen qu’américain a bondi de plus de 15%, et de plus de 30%, même, en mars. La tendance pourrait toutefois se normaliser d’ici l’été; un léger ralentissement ne serait en outre pas à exclure, puisque les consommateurs vont devoir épuiser leurs stocks.

Plusieurs projets d’investissement ont été reportés. Le généreux dividende (0,76 euro) est confirmé et le rachat d’actions propres se poursuit. Le groupe a racheté 724.645 actions, au prix moyen de 22,42 euros par titre, entre le 6 et le 9 avril. Si Amazon est le plus grand concurrent de Food Lion, les activités de vente en ligne d’Ahold Delhaize aux Etats-Unis évoluent bien; elles pourraient même croître de 30% cette année. Plus de 70% des ventes et des bénéfices étant produits outre-Atlantique, les résultats du groupe sont fortement tributaires du rapport euro/dollar.

Ahold Delhaize a confirmé, dans une mise à jour anticipée de ses résultats trimestriels, ses excellents chiffres. Ses ventes devraient s’envoler de 15%. La direction prévoyait pour cette année une augmentation de 5% du bénéfice par action, mais les résultats seront sans doute bien meilleurs.

Colruyt: très solide

Les 242 magasins arborant l’enseigne Colruyt produisent 75% du CA du groupe. A cela s’ajoutent 140 magasins de proximité Okay, 29 BioPlanet, les chaînes non alimentaires DreamLand et DreamBaby et 86 supermarchés en France, dont le succès reste fluctuant. Colruyt garantit les meilleurs prix et présente un profil très écologique, mais il est aussi l’action de loin la plus chère du secteur dans nos contrées. Avec un rapport cours/bénéfice (C/B) proche de 20 et un rendement de dividende qui ne dépasse pas 2%, il peine à concurrencer Carrefour ou Delhaize. Cela dit, son bilan est extrêmement robuste et ses résultats sont généralement très bons et prévisibles. Ce qui n’a pas empêché son action d’enregistrer, à la mi-juin, la plus forte chute de son histoire, l’arrivée du néerlandais Jumbo sur le marché flamand ayant fait craindre une nouvelle guerre des prix. Mais il n’en est rien pour l’instant et Jumbo fait profil bas.

C’est au moment où le titre semblait vouloir se redresser que la crise sanitaire a éclaté. Il s’est, là encore, très vite rétabli: comme pour le reste du secteur, la pandémie semble lui être plus profitable que défavorable (tout le monde se souviendra de ces images montrant d’interminables files d’attente et des chariots débordant de victuailles sur les parkings du groupe). La part de marché de Colruyt en Belgique continue d’augmenter; malgré l’interdiction des promotions, la marque attire donc encore de nouveaux clients, et la profonde récession qui s’annonce pourrait renforcer davantage encore la tendance. Ceci dit, des enseignes comme Albert Heijn, Aldi, Lidl et Jumbo convoitent elles aussi cette clientèle plus sensible à la conjoncture.

Les résultats de 2019 étaient bons. Le CA a augmenté de près de 3% et les parts de marché ont encore progressé, pour atteindre 32,2%. Le bénéfice net s’est établi à 372 millions d’euros et le dividende a été porté à 1,31 euro par action. Colruyt espère faire bien mieux encore cette année.

Carrefour: le plus grand

Carrefour est le deuxième distributeur au monde, et le premier d’Europe. Ses quelque 15.000 points de vente dans 30 pays vont de l’hypermarché au supermarché en passant par des magasins discount et des cash & carry. Il a achevé le dernier trimestre sur un CA de 21,8 milliards d’euros, soit un peu plus que prévu. La France a enregistré un léger recul mais le reste de l’Europe, l’Amérique latine et l’Asie, ont progressé.

En termes de rapport C/B, l’action est la moins chère des trois. C’est Carrefour également qui verse le dividende le plus élevé. Toutefois, que ce soit sur un ou sur cinq ans, la performance de l’enseigne en Bourse est extrêmement décevante. Le contexte exceptionnellement favorable au secteur pourrait néanmoins accélérer la restructuration décidée de longue date; la direction est en tout cas convaincue que les objectifs financiers du Plan 2022 seront atteints plus rapidement que prévu. Les économies sont supérieures aux prévisions et la vente d’actifs non stratégiques se déroule à un rythme soutenu.

Carrefour entend se concentrer désormais sur le commerce électronique et les produits bio. D’ici à 2022, plus de 4 milliards d’euros de CA devraient provenir de l’e-commerce et 5 milliards, peut-être, du bio. Le développement du commerce en ligne est l’un des quatre piliers du vaste plan de réorganisation, les trois autres étant la simplification de l’organisation, l’accroissement de la productivité et l’adaptation plus marquée de l’offre aux besoins du client. S’il veut pouvoir concurrencer Leclerc et, surtout, Amazon, nouveau-venu déjà bien menaçant, Carrefour ne pourra faire l’impasse sur cette transformation. Sa nouvelle équipe de direction a pour mission de renverser la vapeur: l’on saura dans quelques mois peut-être déjà si elle y est parvenue. Certes, la pandémie lui offre un coup de pouce bienvenu, mais il en faudra plus pour rétablir la rentabilité sur la durée. Les rumeurs à propos d’une offre sur Casino se sont tues; une fusion pourrait pourtant être gage d’une valeur ajoutée appréciable pour Carrefour.

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