Une année charnière

L’année 2016 sera pleine de surprises. Elle sera probablement une année charnière.

Bien des choses se dérouleront l’an prochain. L’avenir n’a jamais été aussi difficile à entrevoir. Sur le plan financier, après sept ans de crise, peu de choses ont évolué dans le bon sens. La politique menée, tant au niveau monétaire que fiscal, n’a que reporté les problèmes au lendemain. La faiblesse des taux d’intérêt a artificiellement dilué sa gravité.

Trois facteurs sont prépondérants dans l’histoire. Le premier concerne la zone euro et la manière dont la monnaie commune s’en tirera. Le deuxième a trait au dollar (USD) et le dernier au yuan chinois (CNY). L’avenir de l’euro (EUR) dépendra davantage de la politique gouvernementale que monétaire. Et pour ce qui est de la première, trois aspects la compliquent : l’endettement croissant des Etats, les élections et référendums, et finalement les mesures conjoncturelles à prendre de toute urgence afin de relancer la machine économique.

A la lumière de ce que nos dirigeants ont accompli jusqu’à présent, on peut aisément affirmer que les misères de la zone euro s’aggraveront. Aucun des problèmes n’a effectivement été abordé comme il le fallait. Et plus on tergiversera, plus les résolutions seront difficiles et douloureuses.

Il suffit de voir comment s’en sort le secteur bancaire pour le comprendre. Au lieu d’interdire toute activité parasitaire de ce milieu et de déclarer insolvables les dettes pourries, on s’est empressé dans un premier temps de reprendre ces dernières à la charge des Etats, puis on a submergé les banques de liquidités à n’en plus finir. Dans le même temps, on leur a imposé de provisionner leurs comptes face au moindre engagement de leur part. L’approche aurait pu se révéler fructueuse si l’on avait en même temps organisé une union bancaire. A défaut de celle-ci, les banques devront se sauver elles-mêmes ou continueront de solliciter les deniers de l’Etat.

Ne soyez pas dupe des remboursements des soutiens étatiques que certaines d’entre elles effectuent actuellement. Ils ne servent qu’à se débarrasser de la tutelle de l’Etat. Car, du reste, les dettes pourries restent toujours insolvables et si elles ne figurent pas nécessairement dans le bilan, elles sont dûment parquées dans des fonds spécialement érigés dans ce but.

Politique de la BCE

La politique monétaire pratiquée par la Banque centrale européenne (BCE) semble, à première vue, destinée à faciliter la vie des banques. Il faut cependant admettre que cette politique ne marche pas. L’assouplissement monétaire n’a pas seulement fait chuter les taux d’intérêt à leur plus bas niveau historique, il a également tari le marché des capitaux. Deux facteurs complémentaires ont aggravé cette situation, comme on s’en est rendu compte au cours de l’année écoulée.

Le premier d’entre eux concerne le niveau beaucoup trop faible des taux d’intérêt. Des taux négatifs ne favorisent ni l’épargne, ni les investissements. Ils ne contribuent donc aucunement à la reprise conjoncturelle. Ils modifient de surcroît les différentiels qui existaient naguère entre différents produits financiers indispensables au bon fonctionnement des marchés. On a assisté au tarissement du marché de l’argent au jour le jour par le biais duquel les banques s’échangeaient leur solde en caisse. Les achats continus de la BCE ont pour leur part affecté les gages que les banques sont tenues de fournir auprès d’elle, les obligeant à la longue de faire appel à des investisseurs privés ayant d’autres exigences.

Le marché des swaps, où les institutions financières s’échangent des flux de trésorerie, ne tourne plus. Certains tarifs qui y sont pratiqués ne rémunèrent plus le risque propre à ce genre d’échanges. Or ces marchés spécialisés sont primordiaux pour permettre une kyrielle d’opérations financières. Sans marché de swaps, par exemple, il devient impossible pour une banque d’élaborer des emprunts faits sur mesure. Ces manques les contraignent à abandonner leur statut de teneur de marché et entament la liquidité sur tous les marchés financiers. Aussi longtemps que la BCE poursuivra cette politique, plus grande sera l’exacerbation des banques.

Décision de la Fed

A l’instant où vous lisez ces lignes, vous aurez pris connaissance de la décision de la Banque centrale américaine (Fed). Nous supposons qu’elle aura relevé ses taux directeurs de 0,25% et qu’elle se tiendra prête à faire face à toute dérive que sa manoeuvre aurait engendrée pouvant enrayer la reprise économique. Son communiqué sera libellé de façon suffisamment vague pour lui laisser toute liberté d’action. La Fed est consciente qu’elle doit éviter à tout prix une réaction trop violente des marchés, à l’instar de ce qui s’est passé trois semaines auparavant après l’annonce de la décision de la BCE. Quoi qu’il en soit, quelle que soit la mesure annoncée, ses répercussions se feront sentir sur tous les marchés.

Les aspects techniques tout autant que réglementaires pousseront les banques à abandonner leur rôle de teneur de marché. Cette fonction sera de plus en plus assurée par des fonds spécialisés dont les interventions ne seront plus dictées par les forces du marché mais davantage par leurs intérêts propres. Cela signifie que la négociabilité des produits financiers en pâtira. Ajoutons encore le fait que bon nombre de marchés sont actuellement guidés par des programmes informatiques opérant à la vitesse de la lumière. On devine les catastrophes qui en découleront. Les cotations seront de plus en plus instables. On peut donc avancer que la contribution des banques dans le redressement conjoncturel restera dérisoire en 2016. Sans oublier l’approche des élections présidentielles qui risquent d’être particulièrement chaotiques.

Economie chinoise

Le troisième facteur prépondérant évoqué plus haut, la Chine, s’exprime de différentes façons. La plus évidente apparaît sur le marché des matières premières. On prétend que la décélération économique de la Chine explique la baisse des prix des matières premières. On oublie cependant que la Chine importe le gros des matières premières dont elle a besoin sur la base de contrats passés antérieurement. Ces importations ne sont donc pas tributaires des aléas des marchés. C’est la récession occidentale qui a fait chuter la demande de matières premières et leurs prix. Si l’on tient compte, en outre, des résolutions prises lors du sommet de Paris sur le climat, ces prix ne sont pas prêts de remonter rapidement.

Suite à la récente décision du gouvernement chinois de passer d’une économie tournée vers les exportations à une autre plus autarcique, la Chine ne remplira plus sa fonction de locomotive du monde. Le pays continuera cependant d’influencer la région, ainsi que les pays formant les BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud). Le CNY y occupera un rôle prépondérant.

Début octobre 2016, le CNY fera partie du panier composant le Droit de Tirage Spécial (DTS), le numéraire utilisé par le Fonds monétaire international (FMI). La décision est tombée fin novembre. Sa pondération sera de 10,92%, obtenue suite à une ponction des parts de la livre (GBP), du yen (JPY) et de l’EUR. L’USD a conservé sa part, fixée à 41,73% du total. Le DTS sert non seulement à la comptabilité du FMI, mais on l’utilise aussi pour l’obtention de crédits d’appoint de sa part. Et contrairement à ce que de nombreux analystes prétendent, l’introduction du CNY dans le panier constitutif sonne le glas de l’USD comme monnaie préférentielle pour le règlement de transactions commerciales internationales.

Chaque membre du FMI dispose de DTS dont la quantité est tributaire de sa quote-part au sein du Fonds. Ces DTS lui permettent d’obtenir un crédit dans une des devises du panier qu’il peut ensuite échanger contre n’importe qu’elle autre devise convertible. Dès octobre 2016, il va de soi que les pays asiatiques commerçant avec la Chine emploieront plus volontiers le CNY que l’USD. L’utilisation de l’USD dans les échanges mondiaux diminuera, ce qui pourrait affecter la solidité du billet vert.

Incertaine et fragile

Ce sont là quelques facteurs qui perturberont le déroulement de 2016. Il y a plusieurs messages et leçons à en tirer et tout porteur obligataire devra en tenir compte. En premier lieu, la reprise conjoncturelle du monde est incertaine et très fragile. Il est peu probable dans ces conditions que les taux d’intérêt s’envoleront. Si certains prédisent une hausse graduelle jusqu’à 1% en USD, nous pensons que l’économie américaine n’est pas assez robuste pour supporter un tel relèvement. Si la hausse de décembre n’engendre pas de remous importants, il est plus que probable que le niveau se maintiendra inchangé sur une longue période. Si la conjoncture périclite à nouveau, ce qui est plus que probable, la Fed optera d’abord pour des mesures d’expansion monétaire avant de réduire les taux d’intérêt.

L’USD oscillera durant l’année. L’EUR en fera de même, en sens inverse, et probablement plus frénétiquement. Il restera très sensible aux décisions politiques tant de la part de la BCE que des gouvernements de la zone euro. Car les problèmes non résolus _c’est-à-dire quasiment tous_ de cette zone aggraveront la situation. Aucune devise ne sera épargnée, hormis sans doute le franc suisse (CHF).

Obligations de grande qualité

Les obligations restent cependant une forme d’épargne attrayante, à préférer aux comptes bancaires. Toutes les obligations n’entrent pas dans ce registre, bien sûr. Seules celles de qualité irréprochable, de préférence garanties par les Etats, sont visées. Elles ne serviront pas d’investissement _les taux d’intérêt sont trop faibles et ne compensent plus suffisamment les risques_ mais se substitueront plutôt aux comptes bancaires qui transforment l’argent fiduciaire en des promesses. Si la banque rencontre des difficultés financières, elle est en droit de faire main basse sur l’épargne de ses clients, officiellement sur tout ce qui dépasse les 100.000 EUR. Elle ne peut par contre pas s’approprier les valeurs qu’elles n’a pas émises. D’où notre conseil de placer la majeure partie en obligations de qualité irréprochable, en excluant, bien entendu, tous les titres bancaires.

Investir en devises n’est justifié de nos jours que pour éviter (ou profiter) des dérives que rencontrera immanquablement l’EUR durant l’année 2016. Gardez toutefois à l’esprit que les différentiels de rendement entre les devises ne fournissent aucune indication sur le comportement de ces dernières. Pour s’en persuader, il suffit de regarder comment le real brésilien (BRL) ou encore le rand sud-africain (ZAR) se sont comportés cette année. Si vous placez en devises, vous acceptez les risques de change y afférents. Vous devez être disposé à prolonger votre position en cas de perte de change.

L’année 2016 sera pleine de surprises. Il faudra faire preuve de persévérance et avoir des nerfs d’acier pour la passer sereinement. Si vous gérez votre portefeuille obligataire de façon dynamique, essayez de profiter de tous les déséquilibres qui se présenteront. A une condition toutefois : opérez toujours avec des ordres à cours limité si vous vous rendez sur le marché secondaire, et n’agissez jamais hâtivement.

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