Quand l’argent n’est plus de l’argent

Certaines banques américaines refusent déjà les dépôts et retraits d’argent comptant à leurs guichets…

La crise grecque nous a appris qu’il y a plusieurs sortes de monnaie. En économie, l’argent n’est pas clairement défini. Si pour la plupart d’entre nous, il est représenté par les pièces de monnaie et les billets de banque, voire les avoirs en comptes courants, pour les économistes et autorités monétaires, il se distingue en plusieurs catégories (ou agrégats). Chacune d’elles est signalée par la majuscule M suivie d’un chiffre. M0, que certains pays utilisent encore, représente l’argent comptant, soit les pièces et les billets. M1 reprend les sommes du M0 et y ajoute les avoirs immédiatement disponibles tels que ceux en comptes courants ou, comme il en existe dans certains pays, sur des comptes NOW (des dépôts rémunérateurs immédiatement disponibles). M2 comprend M1 majoré de tout ce qui est disponible dans les 30 jours. Il ne s’agit pas uniquement des dépôts et comptes d’épargne ou comptes à terme, mais aussi de toute créance payable dans les trente jours. M3 inclut M2 plus tout ce qui sera disponible dans l’année. Certains pays emploient aussi le M4 qui correspond au M3 majoré de tout ce qui sera remboursable au-delà d’un an, comme les obligations.

Si cette classification peut avoir un sens analytique, elle sème néanmoins la confusion. Elle amalgame des concepts qui n’ont strictement rien à voir les uns avec les autres. L’argent est ce moyen qui vous permet d’acquérir un bien ou un service. Un avoir sur compte courant n’est par conséquent pas de l’argent. Vous ne pouvez pas payer un bien ou un service avec un compte courant. Pour régler la transaction, vous devez procéder à un virement pour permettre qu’une somme soit transférée de votre compte à celui du bénéficiaire. Ici aussi, si pour la plupart d’entre nous, un virement s’apparente à un paiement effectué avec de l’argent comptant, il s’en distingue pourtant à plusieurs égards.

Métamorphose

Plusieurs économistes proposent d’abolir l’argent palpable (M0) et de le remplacer par de l’argent électronique, qui se trouverait donc exclusivement sur un compte courant. Aucun pays n’a encore imposé un tel système. Et heureusement ! En effet, dès qu’on dépose de l’argent palpable sur un compte en banque, cet argent change de statut. Il n’est plus de l’argent à proprement parler mais bien une créance sur la banque ou l’institution auprès de laquelle on l’a déposé. Cette institution s’engage implicitement à vous restituer cet argent sur simple demande. Les instances européennes vous convaincront que cela ne posera jamais de problème puisqu’elles vous le garantissent jusqu’à concurrence de 100.000 euros. Bien sûr tout ce qui dépasserait cette limite ne serait pas garanti.

Il est indispensable de comprendre que l’argent déposé sur un compte se métamorphose non seulement en une créance, mais également en un crédit. En effet, si la banque n’a pas suffisamment de liquidités en caisses pour honorer les retraits, elle devra, pour en obtenir, s’adresser à sa banque centrale. Pour ce faire, elle devra remettre des gages. Ce qui implique que l’argent qu’elle obtiendra de la sorte n’est devenu autre qu’un crédit à rembourser tôt ou tard. Cette pratique détériorera à la longue sa solvabilité. Voilà comment – comme en Grèce – un problème initialement externe à la banque, devient immanquablement interne. Les banques centrales créent de l’argent uniquement sous la forme de crédits puisqu’elles ne le concèdent que contre des gages. A y réfléchir, ce système est absurde en ce qu’il faut d’abord fournir un gage pour obtenir de l’argent.

Dès que l’argent atterrit sur un compte en banque, il ne vous appartient plus. L’institution peut décider de sa propre autorité ou se voir imposer par une instance tutélaire de réduire l’accès et la disponibilité de votre avoir. Lequel perd donc son statut d’argent. On a pu le constater à Chypre il y a deux ans lorsque l’utilisation des avoirs en banques était soumise à des restrictions diverses. Un euro déposé sur un compte chypriote ne permettait pas de faire autant qu’avec un euro placé ailleurs. La Grèce connaît cet inconvénient aussi de nos jours.

Préserver le cash

Il est vivement conseillé à ceux qui ressentent un malaise par rapport à l’euro ou au système bancaire européen, de retirer des banques leurs avoirs en comptes courants afin de préserver cet argent, moyen d’échange indispensable dans une économie moderne. Seul l’argent sonnant et trébuchant est le véritable argent, ses autres formes ne sont que créances et leur disponibilité dépendra directement du bon vouloir de celui qui les gère. Les actions ou les obligations qui font partie de l’agrégat M3 et/ou M4 sont considérées, en économie monétaire, comme un substitut à de l’argent. Il n’en est rien et tout le monde le comprendra aisément. Pour les convertir en argent, il faut d’abord vendre ces titres. Le principe est le même avec un compte courant. Il est seulement moins visible.

Si un jour l’Etat décidait d’abolir le véritable argent, contraignant tout le monde à ne procéder qu’à des opérations électroniques (donc sur un compte courant), ce jour-là demandez-vous si cet ” e-argent ” vaut encore quelque chose, si le système bancaire est encore fiable ou si les finances de l’Etat sont encore maîtrisables. Aussitôt que l’argent deviendra exclusivement électronique, plus personne ne détiendra réellement d’avoirs : tout le monde se verra imposer des décisions par les autorités monétaires. Aux Etats-Unis, certaines grandes banques refusent déjà les dépôts et retraits d’argent comptant à leurs guichets…

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