Les yeux rivés sur Mario Draghi

Danny Reweghs
Danny Reweghs Journaliste

Jeudi prochain, la Banque centrale européenne (BCE) décidera du cap que prendra sa politique monétaire.

Les marchés des changes et des capitaux ont été secoués en début de semaine par la destruction du bombardier russe en Syrie. Ces marchés, qui peinent déjà à s’adapter aux modifications de la politique monétaire des deux principales banques centrales du monde, pouvaient fort bien se passer de cette tension supplémentaire.

La BCE en action

Jeudi prochain, c’est au tour de la Banque centrale européenne (BCE) de décider du cap qu’elle prendra. Les opérateurs misent indubitablement sur un renforcement de l’assouplissement en vigueur. La BCE ne peut en ignorer les conséquences nuisibles sur les marchés. Actuellement, elle applique un taux de -0,2% sur ses dépôts bancaires. Les banques qui ont besoin d’argent frais l’obtiennent à la condition de remettre un gage composé essentiellement d’emprunts d’Etat conformément aux conditions fixées par la BCE.

La Banque n’accepte que des titres agréés dont le rendement fasse au moins -0,2%. Mais en raison de la politique monétaire qu’elle mène, bon nombre d’emprunts souverains ne rapportent plus autant qu’avant et ne peuvent donc servir de gage. Si la BCE décide de réduire davantage ses taux directeurs, elle devra obligatoirement diminuer le taux de ses dépôts et accepter des gages rapportant moins encore.

Deux taux

Le risque devient réel que les banques commerciales diminuent à leur tour le taux des dépôts destinés à leur clientèle, voire appliquent des taux négatifs. Ce qui n’est pas propice à contribuer au redressement conjoncturel. Afin d’éviter ce risque, il est fort possible que la BCE introduise un taux à deux paliers. Sous certaines conditions, le taux négatif serait d’application, tandis qu’un taux légèrement positif rétribuerait les dépôts ne répondant pas à ces conditions. De cette manière, les banques commerciales resteraient en mesure de prodiguer des taux rémunérateurs à leur clientèle.

Quoi qu’il en soit, Mario Draghi, le président de la BCE, devra faire preuve d’inventivité s’il ne veut pas courir le risque de voir les marchés s’effondrer. Son but est de peser sur la valeur de l’euro (EUR) afin de promouvoir la relance conjoncturelle tout en alimentant l’inflation par le renchérissement des importations. Il devra néanmoins gérer minutieusement l’évolution qu’il aura engendrée, surtout maintenant que les institutions s’apprêtent à clôturer leurs comptes. Les banques doivent rester en mesure d’embellir leur bilan de fin d’année !

Manque de liquidités

Outre-Atlantique, les choses ne se présentent pas mieux. Du moins sur le plan financier. Là, tout le monde s’accorde à prédire un relèvement des taux directeurs par la Banque centrale américaine (Fed). D’après les données du marché, près de 70% des opérateurs misent sur un relèvement à la mi-décembre. Ils prennent d’ailleurs leurs dispositions dans ce sens. Ce qui perturbe hautement le marché des capitaux dans tous ses recoins.

Nous avons déjà évoqué le manque récurrent de liquidités dont souffre le marché. Les teneurs de marché ne sont plus à même d’assurer leur part ou n’osent plus servir de contreparties. L’affaire se complique en outre parce que la banque centrale a tergiversé des mois durant quant à ce relèvement. Le marché de l’argent au jour le jour se tarit lentement. Il en va de même du marché des swaps, cet autre marché indispensable au bon fonctionnement du système financier et bancaire du pays.

Un marché des swaps fait partie de la finance moderne. Quasiment tous les produits financiers qui apparaissent sur les marchés sont construits à partir de swaps. Un swap est un contrat d’échange entre deux parties minimum ayant pour but de transformer un flux monétaire. Ainsi, un émetteur plus attaché aux taux variables du marché de l’argent au jour le jour mais n’y ayant pas accès, échangera le flux de son emprunt à taux fixe contre ce taux variable. Sa contrepartie opérera en sens inverse, bien entendu. Les banques font fonction d’intermédiaires. Elles participent parfois comme contreparties directes.

Rendements négatifs

La rémunération d’un accord swap est tributaire du différentiel des taux d’intérêt pratiqués pour les deux types d’instruments. Mais depuis l’incertitude concernant l’évolution des taux d’intérêt, il apparaît que certaines rémunérations sont négatives actuellement. En d’autres termes, ni le risque de la durée du contrat, ni celui de l’évolution des taux d’intérêt propres au contrat ne sont couverts. Une majorité des courbes des swaps est actuellement inverse. Cela complique la construction d’emprunts faits sur mesure convenant aux parties impliquées dans sa structure.

Les swaps sont aussi couramment utilisés dans les transactions en devises. Quand un émetteur européen dont l’activité se déroule en euro (EUR) émet un emprunt libellé en devise, il échangera le flux en devise contre un approprié en EUR, et ce pour toute la durée de l’emprunt. Il va de soi que si les taux swaps sont renversés suite à l’incohérence des banques centrales, de tels échanges de flux deviendront impossibles ou inefficaces. Il faudra que Janet Yellen, la présidente de la Fed, tienne compte de cette complication quand elle décidera de la direction que prendront les taux directeurs prochainement. Les semaines à venir seront donc particulièrement riches en rebondissements.

Recul de l’euro

Dans l’attente, ces incertitudes se manifestaient le plus clairement sur le marché des changes. L’EUR a cédé du terrain face à presque toutes les autres devises. Il a perdu 1% par rapport à l’USD et 1,2% face au yen (JPY). Suite aux tensions géopolitiques, la lire turque (TRY) s’est tassée de 2,3% et le rouble russe (RUB) de 0,95%. Les devises liées aux matières premières ont bien résisté, hormis le rand (ZAR) qui s’est effrité de 1,7%.

D’importants glissements secouent toujours le marché des capitaux. Plus surprenant était le fort redressement des emprunts au nom de Volkswagen. Les souveraines périphériques européennes ont elles aussi regagné du terrain la semaine passée. Les titres liés aux matières premières et ceux des industries qui en dépendent ont fléchi. L’image était similaire en USD où les sud-américaines ont surpris tout le monde par leur redressement spectaculaire.

Après une semaine frénétique, le marché primaire a fait une pause. Certes, les entreprises continent d’émettre d’importants emprunts, surtout en USD. Les petits porteurs n’ont toujours rien à se mettre sous la dent. L’émission en EUR à 4,4 ans au nom de Grenke (BBB+), la société de crédit-bail allemande, offre 1,35% de plus que la moyenne du marché. Ce qui ne peut être qualifié de généreux. L’émission a toutefois été bien accueillie et s’échange déjà 0,5% au-dessus de son prix de souscription sur le marché gris.

Energie durable

La Banque Mondiale (AAA, supranationale) lance un emprunt dont le prix de remboursement est lié à la performance d’un indice vert. Selon la publicité, le produit de l’émission servira à financer des projets favorisant l’énergie durable. Vu que la Banque Mondiale ne souhaite pas lever plus de 150 millions USD, l’emprunt sera de petite taille, selon les normes du marché. Son indexation le rend en outre compliqué. Voilà qui ne favorisera pas sa négociabilité future. Un produit typiquement destiné à apaiser les consciences dans le cadre du sommet sur le climat.

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