Les géants pharmaceutiques redorent leur blason

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Souvent critiqués par le passé, les acteurs du secteur pharmaceutique font un retour en force depuis 2020, puisqu’ils contribuent à une solution à la pandémie. Nous passons en revue les six plus grands laboratoires.

Bons derniers d’un classement américain de popularité couvrant 24 secteurs en 2019, les laboratoires pharmaceutiques ont nettement amélioré leur image depuis 12 mois grâce à une collaboration intense et rapide sans précédent pour lutter contre la pandémie de Covid-19; une enquête récente montre que la popularité de ce secteur a déjà doublé en un an, pour atteindre 60%. Alors que l’indice boursier S&P 500 affichait une progression de 100% sur les cinq dernières années, le secteur plus large des soins de santé a connu une hausse moindre (+76%) et, en leur sein, les géants pharmaceutiques restaient également dans l’ombre.

Nous présentons ici les six plus grandes sociétés pharmaceutiques, par ordre de capitalisation boursière.

Johnson & Johnson, le mastodonte

Avec une capitalisation boursière de 438,6 milliards de dollars et un chiffre d’affaires (CA) annuel de 82,6 milliards de dollars en 2020, Johnson & Johnson (JNJ) est le numéro un mondial de la santé. JNJ compte trois divisions: la pharmacie, dont les ventes annuelles s’élèvent à 45,6 milliards de dollars, les dispositifs médicaux (23 milliards de dollars) et les produits de soins (14,1 milliards de dollars). La division pharma a progressé de 8% en 2020 malgré le Covid-19, grâce à l’immunologie (+7,9%, à 15,1 milliards de dollars), avec son produit phare Stelara (+21,1%, à 7,7 milliards de dollars), mais surtout grâce à l’oncologie (+15,7%, à 12,4 milliards de dollars), avec le Darzalex (+39,8%, à 4,2 milliards de dollars) et l’Imbruvica (+21%, à 4,1 milliards de dollars). Au total, le groupe compte 28 blockbusters (produits dont les ventes annuelles atteignent au moins un milliard de dollars). JNJ a été, par l’intermédiaire de sa filiale Janssen, le premier à mettre au point un vaccin à dose unique contre le SRAS-CoV-2; le vaccin est vendu à prix coûtant pendant la pandémie. JNJ augmente son dividende de façon continue depuis 59 ans. Le titre se négocie à une valorisation correcte de 17,4 fois le bénéfice attendu pour 2021. Il sera digne d’achat s’il retombe vers 150 dollars (rating 2A).

Roche, spécialiste des diagnostics

L’entreprise suisse a vu ses ventes reculer de 5% en 2020, à 58,3 milliards de francs suisses (soit environ 53 millions d’euros; +1% avant l’effet de change). La division pharmaceutique a accusé un repli plus marqué que prévu (-8%, à 44,5 milliards de francs suisses ou CHF), qui s’explique par la baisse des consultations dans ce contexte de pandémie, mais surtout par la concurrence accrue, et plus forte qu’attendu (-5,1 milliards de francs de CA), des génériques pour les médicaments anticancéreux Avastin, Herceptin et Rituxan – laquelle devrait amputer le CA de 4,6 milliards de CHF en 2021. En revanche, le groupe dispose d’un pipeline attrayant et les médicaments commercialisés depuis 2012 représentent désormais 50% des ventes, notamment grâce au Tecentriq, un médicament immuno-oncologique, dont le CA a augmenté de 55%, à 2,7 milliards de francs, en 2020. La division de diagnostic de Roche, qui profite pleinement de la forte demande de tests Covid-19, a vu son CA grimper de 6%, à 13,8 milliards de francs, en 2020 (+14% avant l’effet de change), et même de 50%, à 4,3 milliards de francs (+55% à cours de change constants) au 1er trimestre de 2021. Le déclin plus important que prévu dans le domaine de l’oncologie pèse sur l’action, mais s’agissant des fondamentaux, les perspectives semblent favorables à partir de 2022. La valeur peut être conservée (rating 2A).

Pfizer: le grand gagnant du Covid-19

Parmi les grands laboratoires pharmaceutiques engagés depuis mars 2020 dans la course au développement d’un vaccin contre le SRAS-CoV-2, Pfizer est sans aucun doute le vainqueur à ce stade. Sanofi, GSK (jusqu’à présent) et Merck & Co sont restés sur le carreau, tandis que JNJ et AstraZeneca ont mis leur vaccin sur le marché plus tard et rencontré davantage de problèmes de sécurité. Le partenariat conclu par Pfizer en avril 2020 avec l’entreprise allemande BioNTech pour développer un vaccin à ARNm s’est révélé fructueux. Sans tenir compte du vaccin contre le Covid-19 et d’Upjohn, cédé l’année dernière, le CA s’est inscrit en hausse de 8%, à 41,9 milliards de dollars, en 2020. Environ 35% de ces ventes reviennent au vaccin antipneumococcique Prevnar (5,9 milliards de dollars de CA, + 1%), à l’anticancéreux Ibrance (5,4 milliards de dollars, +9%) et à l’anticoagulant Eliquis (4,9 milliards de dollars, +18%). Pfizer vise une croissance annuelle moyenne de ses ventes d’au moins 6% jusqu’en 2025, abstraction faite des ventes de vaccins, estimées à 15 milliards de dollars pour 2021. L’action a longtemps peu réagi aux annonces concernant les vaccins, mais elle a récemment pris de la hauteur du fait des inquiétudes suscitées par les sérums d’AstraZeneca et de JNJ. Pfizer verse un dividende avantageux (rendement brut de 4%) mais présente la valorisation la plus tendue parmi les grandes entreprises pharmaceutiques, à 18,5 fois le bénéfice attendu pour 2021. A conserver (rating 2A).

Merck & Co: en attente de la scission d’Organon

Le développement de deux candidats vaccins de Merck & Co contre le SRAS-CoV-2, V590 et V591, a été interrompu en janvier pour cause d’efficacité insuffisante et une partie de la capacité de l’usine servira à produire le vaccin de JNJ. Merck & Co étudie également un candidat médicament pour le traitement symptomatique du Covid-19. Son produit vedette est toutefois le médicament onco-immunologique Keytruda, dont le CA a grimpé de 30%, à 14,4 milliards de dollars, ou 30% des ventes du groupe (48 milliards de dollars, +2% sur un an), en 2020. En vue de mettre l’accent sur l’oncologie, les vaccins et la santé animale, le groupe va scinder et introduire en Bourse Organon (santé féminine), une entité dont le CA annuel est estimé à 6-6,5 milliards de dollars. La scission devrait conduire à 1,5 milliard de dollars d’économies d’ici à 2024 et rapportera un dividende exceptionnel de 8,5-9 milliards de dollars à Merck & Co, mais son traitement fiscal est incertain; nous recommandons d’attendre (rating 2A) l’opération pour acheter le titre Merck & Co, qui affiche une valorisation attrayante (11,9 fois le bénéfice attendu pour 2021, 13,8 fois en moyenne pour le secteur).

Novartis: en quête d’un surcroît de croissance

Après la scission de la division de produits ophtalmologiques Alcon, en 2019, le CA du groupe suisse Novartis a augmenté de 3%, à 48,7 milliards de dollars, en 2020. Le médicament immunologique Consentyx (+13%, à 4 milliards de dollars) et l’Entresto, contre l’insuffisance cardiaque (+45%, à 2,5 milliards de dollars) ont brillé. La division de génériques Sandoz a vu son CA reculer de 1%, à 9,6 milliards de dollars. Novartis a fourni gratuitement 15 produits pour traiter le Covid-19 et soutient la production des vaccins Pfizer/BioNTech et (à l’avenir) CureVac. Prudent, Novartis vise une croissance de 5% au plus pour 2021- la prévision tient compte d’un ralentissement, surtout au 1er semestre, des divisions oncologie, ophtalmologie, dermatologie et Sandoz, compte tenu de la situation sanitaire. Les analystes pronostiquent une croissance annuelle moyenne de 4% jusqu’en 2025. Suggérée depuis longtemps, une éventuelle cession de Sandoz pourrait donner un coup de fouet à l’action, actuellement valorisée conformément à la moyenne sectorielle, et donc à conserver (rating 2A).

AbbVie: le moins cher

AbbVie doit sa place dans le Top 6 au rachat d’Allergan (connu pour le Botox), en 2020, pour 63 milliards de dollars (+20 milliards de dettes). Le marché avait désapprouvé ce rachat, mais s’intéresse désormais à l’expiration du brevet de l’Humira, prévue en 2023 aux Etats-Unis. L’an dernier, cet inhibiteur du TNF fut le médicament le plus vendu dans le monde, avec un CA de 19,8 milliards de dollars sur un total de 45,8 milliards pour le groupe (dont environ 9 milliards pour Allergan à partir de mai 2020). AbbVie a mis sur le marché deux nouveaux médicaments d’immunologie: le Rinvoq (inhibiteur de JAK1) et le Skyrizi (inhibiteur d’IL-23), qui devraient rapporter 15 milliards de dollars d’ici 2025 (déjà 2,3 milliards en 2020). Toutefois, les problèmes de sécurité liés à la classe de médicaments JAK1 (qui comprend également le filgotinib de Galapagos) inquiètent. Compte tenu de sa forte dépendance aux ventes du Rinvoq et de sa dette nette élevée, de 72 milliards de dollars (2,5 fois le cash-flow opérationnel prévu pour 2021), AbbVie présente la valorisation la plus faible parmi les six géants pharmaceutiques, à 8,9 fois le bénéfice attendu en 2021. L’action présente un profil de risque plus élevé mais, selon nous, mérite l’achat (rating 1B).

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