Le secteur aérien en pleine zone de turbulences

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Tous les acteurs du secteur semblent battre de l’aile. Ce n’est donc pas le moment de surpondérer les compagnies aériennes en portefeuille.

Que l’on regarde les bénéfices ou les cours, le secteur aérien s’inscrit résolument dans le rouge. En temps “normal” déjà, le résultat net des compagnies aériennes peine à décoller du fait de la concurrence acharnée qui règne; avec la pandémie, il reste cloué au sol – au grand dam des actionnaires. Ainsi, sur les 12 derniers mois, l’action SAS a perdu 70%; sur cinq ans, les pertes fluctuent entre -6 et 86%.

En 2021, seules Qantas et Cathay Pacific ont réussi à garder la tête hors de l’eau en Bourse. Pour cette dernière, c’est d’ailleurs une performance étonnante, au vu des pertes abyssales enregistrées sur l’année, malgré un chiffre d’affaires (CA) de 45 milliards de dollars de Hong Kong. Sur cinq ans, toutefois, l’action a perdu un tiers de sa valeur; elle était 36% plus onéreuse il y a 10 ans déjà. Cathay Pacific, comme beaucoup d’autres actions du secteur de l’aviation, ne répond pas aux critères d’une stratégie buy & hold. Bien sûr, des exceptions existent: en 10 ans, Qantas Airways a vu son cours se multiplier par trois, et l’action Ryanair a gagné 160%. Toutes les compagnies aériennes ne sont donc pas à mettre dans le même panier.

Faillites en cascade

La pandémie a entraîné la faillite d’un grand nombre de compagnies aériennes: Czech Airlines, WOW Air, Air Italy, Paradigm Air Operators, Trans States Airlines, Island Express Air, PenAir, Germanwings, Avianca Peru, TAME, Air Georgian, Jetlines, AirAsia Japan, Indonesia AirAsia X, Cathay Dragon ou encore Palestinian Airlines; la liste est longue et non exhaustive, et il est fort probable qu’elle s’allongera encore au cours des mois à venir.

Même un géant comme Air France-KLM a enregistré plus de 3 milliards d’euros de pertes l’année dernière, après un déficit inédit de 7 milliards d’euros en 2020. Les gouvernements français et néerlandais doivent intervenir massivement pour éviter une véritable faillite. Malgré l’embellie que connaît actuellement le groupe, de nombreux problèmes subsistent, notamment sur le plan logistique. Le personnel manque pour faire face à une saison estivale très chargée, même si le nombre de passagers est encore loin du niveau d’avant-crise; les déplacements professionnels long-courriers, notamment, restent l’exception dans les entreprises. La guerre en Ukraine a fait s’envoler les prix du carburant, si bien que les compagnies traditionnelles ont de plus en plus de mal à équilibrer leurs comptes. La situation est un peu plus favorable pour les acteurs à bas prix, davantage axés sur les loisirs que sur le tourisme d’affaires. Mais elles aussi sont confrontées à des problèmes opérationnels et doivent annuler des vols en raison des grèves ou du manque de personnel.

A la lumière de ce qui précède, beaucoup s’étonneront que de nouvelles compagnies aériennes cherchent encore à se faire une place sur le marché. Or, les nombreuses faillites ont rendu disponible toute une flotte d’avions qu’elles peuvent louer à bas prix. Uep Airways (Baléares) a déjà lancé son activité. Canarian Airways (Espagne), Northern Air (Suède), EGO Airways et SkyAlps (Italie), Flyr et Norse Atlantic (Norvège) ainsi que Grecian Air (Grèce) feront bientôt leur entrée sur le marché. Ces nouveaux venus semblent être principalement des compagnies aériennes proposant des vols bon marché, sans fioritures. Ils ciblent généralement les aéroports régionaux, beaucoup moins chers et souvent plus proches des destinations de vacances que les grands aéroports nationaux. Enfin, un atout de taille: ils ne doivent pas supporter les coûts énormes de structures organisationnelles souvent obsolètes et lourdes.

Des performances hétérogènes

Les affres d’Air France-KLM datent d’avant la pandémie. Le groupe offre l’exemple parfait d’une fusion non réussie. Les rapports entre les Français et les Néerlandais sont extrêmement tendus, la structure est lourde et beaucoup trop coûteuse. La double nationalité rend difficile la prise de décisions commerciales. Certes, les deux gouvernements continuent d’intervenir lorsque l’entreprise menace de faire faillite, mais la perspective d’un retour à la rentabilité et à une situation financière saine manque. Très spéculative, l’action ne convient pas au bon père de famille.

AirFrance-KLM devrait cependant dégager un petit bénéfice en 2023. Le groupe vient de boucler une augmentation de capital et lèvera 2,3 millions d’euros grâce à l’émission de 1,9 milliard d’actions nouvelles, à un prix de souscription de 1,17 euro. Les Etats français et néerlandais participent à l’augmentation de capital. CMA CGM, une société française spécialisée dans le transport maritime de conteneurs, est devenue le nouvel actionnaire de référence. China Eastern Airlines et Delta Air Lines ont aussi participé. Toutefois, aucun dividende n’est à attendre dans les années à venir.

A l’autre bout du spectre, Ryanair est la plus grande compagnie aérienne à bas coûts européenne et peut se targuer d’une flotte riche de 430 aéronefs modernes. L’insolent CEO, Michael O’Leary, tient à sa stratégie: proposer des billets à prix plancher, même s’il doit s’attirer les foudres des syndicats. Avec son bilan sain et sa structure de coûts très faible, Ryanair pourrait être l’un des premiers acteurs européens à tourner la page de la crise sanitaire, et pourrait même profiter des réductions de voilure des autres acteurs. Bien sûr, l’action a été malmenée en Bourse depuis le début de l’année, mais contrairement à ses concurrents directs, le recul est limité et la valorisation reste attrayante.

Trois fois plus petite que son concurrent Ryanair, la britannique easyJet a enregistré une perte de 850 millions d’euros pour un CA de 1,5 milliard d’euros l’an dernier. Le cours de l’action fluctue beaucoup plus que celui de Ryanair. Malgré des recettes nettement inférieures, easyJet ne compte que quelques milliers d’employés de moins que Ryanair – autant d’arguments plaidant en faveur de la compagnie irlandaise, pour qui hésiterait entre les deux dans son portefeuille.

Pertes généralisées

Si l’on poursuit le tour d’horizon du paysage aérien européen, l’on constate que la scandinave SAS, jusqu’alors très solide, est elle aussi en difficulté, sans perspective de bénéfice. Pour l’allemande Lufthansa, en revanche, de la lumière semble apparaître au bout du tunnel. Le CA de 2022 devrait avoisiner les 30 milliards d’euros, pour un bénéfice de 127 millions d’euros. C’est toutefois bien moins qu’avant la crise: en 2018, le bénéfice du groupe dépassait les 2 milliards d’euros.

International Consolidated Airlines Group (IAG), qui regroupe British Airways, Iberia, Vueling, Aer Lingus et quelques autres compagnies, table sur une amélioration cette année, mais restera déficitaire, avec une perte attendue de 84 millions d’euros.

Au-delà de notre continent, les plus grandes compagnies aériennes internationales ont subi des pertes énormes ces dernières années. Le déficit d’American Airlines, l’un des plus grands acteurs mondiaux, a atteint 9 milliards de dollars en 2020 et 2 milliards en 2021; il devrait s’élever à 1,5 milliard de dollars cette année. Quantas Airways, le géant australien, présente un tableau similaire, avec une perte inférieure à 1 milliard de dollars australiens cette année, mais aucune perspective de bénéfice. Cathay Pacific, également dans le rouge, s’attend à générer cette année un CA n’atteignant même pas la moitié de celui de 2019. Même Air China a connu des pertes massives pendant trois années consécutives, malgré la forte croissance économique dans le pays. Chez Japan Airways, aucun bénéfice n’est attendu ni en 2022, ni en 2023.

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