La lente course à la voiture électrique

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Les constructeurs automobiles sont à ce jour très faiblement valorisés. Or les ventes se portent bien. Il faut donc aller chercher ailleurs les raisons de la fragilité du secteur.

L’année 2018 est jusqu’ici plutôt décevante pour les actionnaires des groupes automobiles. A l’entame du quatrième trimestre, la majorité du secteur (Ford, Daimler, General Motors) est dans le rouge, avec des pertes qui dépassent parfois largement les 10%. Le cours de Tesla Motors, dont les soubresauts sont beaucoup plus violents que par le passé, a chuté de 10% en glissement annuel. Peugeot est l’un des seuls acteurs à tirer son épingle du jeu.

Onéreuse transition

L’évolution des cours ne pourrait trancher davantage avec celle des ventes, en hausse depuis plusieurs années. Le secteur automobile est par définition très cyclique – quand l’économie se porte bien, les voitures s’écoulent. Il faut donc chercher les explications ailleurs.

La Bourse annonce une inversion de tendance: l’évolution des cours traduit un ralentissement imminent de l’économie mondiale. Les constructeurs allemands de modèles de luxe sont particulièrement touchés. Ils construisent leurs SUV les plus gros et les plus rentables aux Etats-Unis, pour les exporter principalement vers la Chine; ils sont donc très exposés au conflit commercial, lequel pourrait, estiment les investisseurs, provoquer un ralentissement de la croissance.

L’image: les scandales des logiciels truqués ont écorné l’image de l’industrie automobile et plombé la popularité des voitures diesel, ce qui contraint les constructeurs classiques à procéder à des réorganisations musclées.

L’onéreuse transition vers la voiture électrique: les usines doivent revoir complètement leur fonctionnement. En exagérant un peu, les mécaniciens vont devoir se recycler en électriciens et en informaticiens. Reste à savoir si les coûts qu’impliquera une telle transition seront amortis dans des délais raisonnables. La plupart des voitures électriques sont encore très chères – les nouveaux modèles coûteront sans doute plus de 50.000 euros, pour un rayon d’action qui ne dépassera pas 400 km. Les investissements sont estimés à 90 milliards d’euros, dont 52 milliards rien qu’en Allemagne, pour des profits dont le montant est à ce stade plus qu’incertain.

Une kyrielle d’avertissements sur bénéfice: les résultats des constructeurs sont cette année trop souvent en deçà des attentes, comme le prouve l’avertissement sur bénéfice récemment émis par BMW.

Indulgence de la Bourse

En légère progression, l’action Volkswagen (“VW”) s’en tire plutôt bien. VW a présenté un bon rapport trimestriel et le dieselgate semble oublié. Le groupe a humblement reconnu (avait-il le choix?) l’existence d’une fraude massive. “Heureusement”, d’autres encore ont triché et la Bourse semble indulgente. Le groupe a déjà versé 27,4 milliards d’euros d’amendes, mais les actionnaires exigent plus de 9 milliards d’euros de compensation pour la chute du cours qui a suivi l’annonce du scandale. Une bonne partie des demandes devraient cependant être prescrites.

Hybride

Toyota présente une valorisation plus élevée que VW. Il est le n° 1 mondial des voitures hybrides, une technologie dans laquelle les Japonais investissent sans compter. Les hybrides sont moins chères que les voitures 100% électriques, peuvent s’approvisionner dans les stations-service ordinaires et disposent d’une large autonomie. La marque soeur Daihatsu vend de petites voitures électriques sur le marché chinois. Toyota est également un pionnier des moteurs à hydrogène, que maints connaisseurs considèrent comme une solution de rechange à part entière aux moteurs à essence et au diesel.

Toyota peut se permettre d’investir énormément dans la recherche et développement. Son bilan est extrêmement solide et le groupe est le constructeur automobile le mieux noté (AA-) sur le marché obligataire. Il réalise, sur un chiffre d’affaires de 30 milliards de dollars, un bénéfice net de 2,5 milliards, dont il ristourne un tiers environ aux actionnaires – soit un rendement du dividende de 3,20%.

Sanction

L’avertissement sur bénéfice émis par BMW a été sévèrement sanctionné. Espérons que cela n’augure rien de particulier pour Daimler et Peugeot, dont les actions s’inscrivent en nette baisse elles aussi. BMW pointe du doigt les nouvelles normes d’émission WLTP et le conflit entre la Chine et les Etats-Unis. Daimler avait, dès l’été, revu son bénéfice opérationnel annuel à la baisse, pour les mêmes raisons. Les deux actions sont assez proches en termes de valorisation, mais BMW affiche un rendement de dividende très attrayant. BMW compte avoir produit 500.000 voitures hybrides et électriques d’ici à la fin de 2019. Daimler (Mercedes) a créé EQ, une sous-marque pour ses voitures électriques. Le Mercedes EQC, un SUV électrique, sera mis sur le marché en 2019.

Joli bond français

Peugeot achève le premier semestre sur un chiffre d’affaires en hausse de 40% en glissement annuel. D’après son CEO, Carlos Tavares, le groupe démontre depuis plusieurs années sa capacité à améliorer sa rentabilité, son efficacité et ses volumes de ventes. Même la division Opel Vauxhall commence à enregistrer des résultats satisfaisants. Ce sont, ici encore, surtout les SUV qui soutiennent les marges. Tout cela se traduit par une évolution exemplaire du cours de l’action. Peugeot et Citroën accusent un léger retard dans la course à la voiture électrique, mais ils passeront tôt ou tard à la vitesse supérieure.

Contrastes américains

Tesla déchaîne les passions, mais n’est en aucun cas une action pour bon père de famille – trop d’incertitudes entourent l’entreprise et son très controversé CEO, Elon Musk. Le cours fluctue énormément, au rythme de l’actualité et des nombreuses rumeurs dont le groupe fait l’objet.

Ford et General Motors (“GM”) sont d’un tout autre calibre, même si la valeur boursière de Tesla a récemment dépassé celle de GM. Aucune des trois actions ne se porte bien pour l’instant. Ford, qui a vu son bénéfice chuter de près de 50% au deuxième trimestre, a abaissé ses prévisions pour l’exercice. Le groupe a adopté un plan de restructuration pluriannuel, qui coûtera 11 milliards de dollars. Chez GM, le bénéfice a cédé 2,8% et les perspectives sont influencées par l’évolution du cours de change du peso argentin et du réal brésilien, ainsi que par la hausse des prix des matières premières.

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