Violents soubresauts

Etrange. Dès que les chiffres conjoncturels s’améliorent, les marchés plongent. Selon les analystes, la réaction est due aux remaniements stratégiques.

Si l’économie se redresse, elle alimentera l’inflation et obligera les banques centrales à durcir leur politique monétaire. L’explication sonne acceptable. Mais n’était-ce pas la même qu’on nous a servie il y a deux mois suite aux propos prospectifs du président de la Banque centrale américaine, Bernanke, signalant qu’il s’apprêtait à changer son fusil d’épaule ? L’amélioration conjoncturelle aurait dû soutenir les marchés.

La raison de la dégringolade est bien sûr ailleurs. Tout d’abord, ce sont les teneurs de marchés qui font la pluie et le beau temps sur les places financières. Ils savent que tout durcissement monétaire affectera leur activité. Ils vivent depuis plus de quatre ans sous perfusion d’argent et n’ont toujours pas trouvé d’alternative. Ensuite, il y a les investisseurs institutionnels étrangers qui prennent leurs bénéfices et rapatrient leurs gains. Plus la conjoncture se redressera, plus les marchés évolueront chaotiquement.

Les principaux teneurs de marché sont des banques. Et ces dernières ont d’autres chats à fouetter. Elles doivent dégraisser depuis 2008. Officiellement, elles ont déjà réduit leur taille de plusieurs milliers de milliards. La plupart du temps, par l’application de préceptes comptables inventifs. Et celles qui en avaient la possibilité, ont parqué leurs actifs pourris ailleurs, sans que ces derniers aient disparu. Aujourd’hui, elles ont des problèmes d’interprétation. Les grandes banques sont actives dans le monde entier. Elles ne savent pas à quelle autorité elles doivent se soumettre. Aux Etats-Unis, c’est la loi gargantuesque Dodd-Frank (de plus de 14.000 pages) qui les régit. En Europe, c’est l’EMIR (European Market Infrastructure Regulation ) qui s’en charge, aux côtés de législations nationales. Ce tout est chapeauté par les Accords de Bâle III. Selon chacune de ces directives, la situation bancaire diffère.

La principale pierre d’achoppement de cet ensemble sont les produits dérivés. Les trois directives principales abordent le problème d’une façon similaire : toutes les opérations doivent être dénouées via une chambre agréée. Le but est d’obliger les parties concernées de divulguer leurs données, de sorte que les autorités compétentes puissent intervenir à temps s’il y a dérive. C’est que ces opérations représentent plus de 630.000 milliards de dollars !

Cette approche ne résout malheureusement pas grand-chose. En théorie, les chambres font fonction de butoir. Mais pour ce faire, elles réclament des gages face à chaque transaction. Ce qui gonfle les frais. Les parties impliquées doivent dénouer leurs opérations auprès des chambres de leur région. Chaque chambre agit cependant différemment. Ce qui augmente les frais administratifs.

Les directives diffèrent aussi sur la manière d’apprécier les positions de couverture. Nous l’avons déjà signalé précédemment, mais il est bon de le répéter pour qu’on comprenne l’ampleur du problème. Aux Etats-Unis, les banques peuvent solder leurs positions contraires en produits dérivés, tandis qu’elles ne le peuvent pas en Europe. La distinction occasionne des maux de tête aux banquiers.

Prenons la Deutsche Bank comme exemple. La majorité de ses opérations en produits dérivés s’effectuent aux Etats-Unis et sont assujetties aux directives américaines. La banque est donc habituée à solder ses positions contraires. Mais si elle est contrainte de suivre les directives plus contraignantes des Accords de Bâle III, elle devra comptabiliser chaque opération séparément et fournir les gages adéquats. Cela gonflerait d’emblée son bilan de 1.900 milliards d’euros ou près de 60% (!) face auquel elle devra fournir du capital. Heureusement, la banque ne devra s’y conformer qu’en 2018.

Il n’empêche que la banque vient de perdre 94 millions d’euros sur une couverture précisément suite à une interprétation divergente de la réglementation. La banque s’était procurée des CDS (Credit Default Swaps, des assurances négociables) pour couvrir des positions spéculatives afin d’éviter la remise de gages. Les autorités ne l’entendaient pas de cette oreille et ont contraint la banque à valoriser ses positions autrement, causant la perte.

La plupart des banques européennes font face à des problèmes similaires. Leur lobby s’affaire actuellement pour l’abolition de ces directives. Momentanément, en vain. Les autorités sont disposées à revoir la valorisation, rien de plus. Leur but est clair : éviter tout risque systémique. Elles ne s’attardent plus sur les données comptables mais sur le risque propre à chaque opération. Si elles appliquent leur approche systématiquement, les banques devront lever plusieurs dizaines de milliers de milliards pour se mettre en conformité !

L’amélioration conjoncturelle ne pèse pas lourd devant ces autres problèmes et restera de toute façon insuffisante pour financer ces contraintes gigantesques. Ce sont ces facteurs-là qui ont pesé sur les marchés. Celui des obligations internationales en a été la première victime. A l’exception du yuan chinois (CNY), les obligations libellées dans les autres devises ont chuté. On en dénombrait de 5 à 30 fois plus de titres orientés à la baisse qu’inversement. En euro, les titres de pacotille ont le mieux résisté. Leurs gains restaient toutefois insignifiants. Parmi les souveraines, seule l’Espagne a tiré son épingle du jeu, gagnant 1%, tandis que l’Allemagne, les Pays-Bas, la France perdaient jusqu’à plus de 3%, tout comme les obligations industrielles. Celles-ci abandonnaient quelque 4% en USD.

Le marché des changes reste soumis à de violents soubresauts. Le dollar (USD) a gagné 0,25% face à l’euro, tandis que le yen (JPY) perdait 0,8%. Les propos prospectifs du nouveau gouverneur de la Banque d’Angleterre ont poussé les taux d’intérêt et la livre (GBP) vers le haut. Cette dernière s’est raffermie de 0,95%. Les devises à haut rendement ont fléchi. Le réal brésilien (BRL) a perdu 2,7%, le rand sud-africain (ZAR) 2,1%, le peso mexicain 1,7%. Seuls les dollars australien (AUD) et néo-zélandais (NZD) ont progressé, respectivement de 0,3% et 1%.

Le marché primaire a été surpris par la hausse inopinée des taux d’intérêt. Le placement des nouvelles émissions a connu quelques déboires. Plusieurs émetteurs sont cependant sur la brèche pour lancer leurs nouvelles émissions, dont pas mal de nouveaux venus. Les émissions de la semaine ne brillaient pas par leurs conditions. Les deux en lire turque (TRY) sont trop chères. Vous trouverez mieux sur le marché secondaire (alt.4). La TRY évolue actuellement dans un canal baissier. Elle a perdu 0,7% la semaine dernière. La Rabobank (AA-) en couronne norvégienne (NOK) est trop onéreuse. Vous optez pour l’autre sur le marché secondaire (alt.3) tant que frais et différence de prix ne dépassent pas 2,6%. La NOK a perdu 1,1% la semaine passée. La nouvelle émission de la BERD (AAA, supranationale) en MXN convient comme alternative aux emprunts échus en USD. Aux conditions de souscription, le surrendement procure un butoir de 15% contre le risque de change, à étaler sur les 5,3 ans que dure l’emprunt.

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