Un semestre énervant

Les marchés ont été secoués dès le début de ce premier semestre.

A la surprise générale, la Banque centrale suisse décidait le 12 janvier de mettre un terme à la parité de 1,2 franc (CHF) pour 1 euro (EUR). Un taux pivot qu’elle avait instauré en novembre 2011 pour endiguer l’entrée de capitaux de la zone euro sur son territoire. Le CHF a aussitôt bondi en avant de plus de 20%.

Assouplissement monétaire

On savait que la Banque centrale européenne (BCE) s’apprêtait à agir pour contrer le danger de la déflation. Effectivement, le 22 janvier, elle annonçait son programme d’assouplissement quantitatif (QE) : elle achètera pour 60 milliards EUR par mois à partir de mars jusqu’en septembre 2016. La manoeuvre a pour objectifs de rendre le crédit meilleur marché, relancer la consommation et pousser l’inflation vers 2%.

Victoire de Syriza

Trois jours plus tard, le mouvement de gauche grec Syriza remportait les législatives. Ses partisans ne poursuivent qu’un but : mettre un terme à l’austérité que leur imposent les membres de la Troïka. Un vent de méfiance naquit immédiatement à l’encontre des nouveaux dirigeants grecs, au comportement si atypique. On s’est rapidement moqué d’eux. Pourtant leur obstination allait en surprendre plus d’un. L’idée d’une possible sortie d’un Etat membre de l’Union commença à traverser les esprits. Les pourparlers allaient d’emblée à vau-l’eau. Ils ont duré cinq mois, sans aboutir encore. La BCE, pour sa part, limita l’accès des banques grecques à ses facilités, créant une pénurie de liquidités dans le système bancaire grec.

Annonce de la Fed

Dans le courant de février, les banques centrales scandinaves modifièrent leur politique monétaire. La suédoise a emboîté le pas à la BCE, en achetant elle aussi des titres sur le marché secondaire. Les autres se sont contentées de réduire leurs taux directeurs, aujourd’hui à leur plus bas niveau historique. En mars, la BCE dût rapidement élargir la liste de titres qu’elle acceptait dans le cadre de son QE afin d’atteindre le montant mensuel requis. A la fin de ce même mois, Janet Yellen, la présidente de la Banque centrale américaine (Fed), annonçait son intention de relever les taux directeurs à partir de septembre. L’ascension du dollar (USD) commença.

Référendum et démission inattendus

Les mois suivants, sous l’emprise de la crise grecque, furent riches en rebondissements. Chaque nouvel espoir d’accord, annoncé comme imminent, a été anéanti. La restructuration de la dette constituait la pierre d’achoppement entre les négociateurs ; les autres points ne posaient pas véritablement de problème. Les divergences ne concernaient que le calendrier et les priorités, rendant théoriquement possible un compromis. Personne n’était toutefois enclin à céder.

En désespoir de cause et en vue de forcer une avancée, le Premier ministre grec Alexis Tsipras décida le 28 juin d’organiser un référendum la semaine suivante. Sa décision a médusé tous les membres de la Troïka. Désapprouvant cette initiative, ils ont rapidement mis fin à tous leurs programmes de soutien à la Grèce. Le manque de liquidités des banques du pays qui en a résulté a entraîné l’imposition de restrictions : les banques ont reçu l’ordre de ne fournir que 60 EUR par jour et par personne. Le plébiscite a indubitablement confirmé la vision grecque des choses. Personne ne peut récuser un résultat démocratique d’une telle ampleur : la majorité des Grecs a rejeté le plan d’aide européen.

Au lendemain du référendum, le ministre grec des Finances Yanis Varoufakis créait la surprise en annonçant sa démission. Une idée utile à l’obtention d’un accord par Tsipras. A la table des négociations, la présence de Varoufakis, avec le franc-parler qu’on lui connaît, n’a jamais plu à la Troïka.

Bon sens

Il est à espérer que les instances européennes (conseil des ministres, commission, Eurogroupe) chargées de ces affaires abandonneront leur arrogance et myopie dogmatique et recouvreront le bon sens. Ce qui est certain, c’est que la Grèce ne changera pas de cap tant qu’elle n’obtiendra pas satisfaction de la part de ses créanciers. Contrairement à ce qu’on entend partout, la balle n’est nullement dans le camp grec, elle est dans celui de la Troïka.

Nouveau sommet

Après la victoire grecque du “non”, l’Europe a annoncé la tenue d’un nouveau sommet le 7 juillet. En vue “de négociations de la dernière chance”. Les dirigeants européens sont allés y écouter ce que la Grèce avait de neuf à leur proposer. Mais ni le discret Euclides Tsakalatos, le nouveau ministre des Finances grec, ni Tsipras n’avaient de nouvelles propositions de réformes à formuler. Une fois encore, le sommet s’est achevé sans annonce majeure, si ce n’est celle d’un nouveau sommet crucial (et ultime ?) le 12 juillet*.

Rôle clé de la BCE

La BCE seule est en mesure de maintenir les banques grecques à flot. Une banque centrale n’a pas à se mêler d’affaires politiques et doit se plier aux désirs des gouvernants, en l’occurrence des autres membres de la Troïka. La Grèce doit rembourser pour 3,6 milliards EUR à la BCE ce 20 juillet. Il s’agit d’emprunts grecs arrivant à échéance que la BCE avait acquis lors du plan de redressement de 2012. Il est difficilement imaginable que la BCE se rembourse elle-même.

Le 6 juillet, les banques grecques, par la voie de leur banque centrale, ont réclamé un relèvement du plafond des facilités (ELA) qui leur sont toujours accessibles, actuellement plafonnées à 89 milliards d’EUR. Si la BCE n’y consent pas, les Grecs continueront de retirer l’argent de leurs comptes jusqu’à ce que les banques s’effondrent. Il ne faut pas compter sur le lancement par le gouvernement d’une nouvelle monnaie. Ce dernier pourra en revanche émettre des chèques ciblés ou toute autre forme de moyens fiduciaires temporaires. La BCE exigera des garanties, on le sait. Les banques ne peuvent en effet recevoir de l’argent frais qu’en remettant des gages en suffisance. Aussi longtemps qu’elles en possèdent, les banques grecques couvriront les retraits. Mais ce faisant, leur solvabilité sera malmenée. La BCE pourrait alors exiger qu’elle soit rétablie avant de satisfaire le besoin des banques. Mais de cette manière, elle pourrait étrangler le gouvernement grec. Ce qui poserait d’office un problème de taille aux instances européennes.

Crédibilité

L’avenir de l’EUR dépendra de l’attitude de la BCE. Les taux d’intérêt de la zone euro risquent eux aussi de subir quelques chocs violents. Ce que la BCE refuserait à la Grèce pour des raisons de principe, elle le dépenserait doublement, sinon plus encore, pour sauvegarder la zone euro. Un soutien direct à la Grèce lui coûterait donc moins cher et aurait pour avantage de redorer son blason. Le directoire de la BCE parviendra-t-il à l’unanimité en cette matière ? La crédibilité des instances européennes est évidemment en jeu. Si elles osent récuser un résultat des urnes, la pagaille surviendra d’emblée sur les marchés et les tensions politiques croîtront partout dans l’Union.

En clair, les marchés réagiront en fonction de l’attitude des créanciers. S’ils ne montrent toujours pas d’empathie et de solidarité, s’ils continuent de se chamailler pour des peccadilles et de formuler des exigences irraisonnables, l’EUR s’effritera par rapport à toutes les devises principales, les taux d’intérêt grimperont dans toute la zone et la fragile reprise qui se manifestait çà et là disparaîtra définitivement. L’Union telle que nous la connaissons fera alors partie du passé.

Les décideurs européens doivent mettre à profit cette situation historique pour corriger les manquements qui accablent l’Union. Ils doivent apurer les déséquilibres financiers. L’excédent sur les comptes courants allemands provient pour 80% environ des déficits sur ces mêmes comptes des Etats membres. Une solution équitable s’impose dans ce domaine, sans quoi l’Union évoluera d’une crise à l’autre.

Rectifier le tir

Thomas Piketty, le célèbre économiste français, a émis une suggestion pour remédier à la situation actuelle. Il propose de centraliser toutes les dettes dépassant un certain seuil auprès d’un fonds européen qui les gérerait. Il avance 60% du PIB comme seuil à ce transfert et verrait le Mécanisme de stabilité européen (MSE) convenir à cette tâche. Aussi longtemps que rien de sensé n’émanera des instances européennes, l’EUR et tout ce qui en dépend seront en danger.

*Note de la rédaction : au moment d’écrire ces lignes, le sort de la Grèce n’était pas scellé.

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