Soldes dans les services d’utilité publique

© Getty Images/iStockphoto

Les services d’utilité publique étaient encore considérés il y a dix ans comme un secteur défensif offrant des dividendes (assez) prévisibles. Pour l’heure, le secteur est clairement à la traîne sur les places boursières occidentales. Avis aux investisseurs (à contre-courant) : les “cancres” d’aujourd’hui pourraient mieux performer que les indices au cours des prochaines années.

Après plusieurs années de hausse, il ne reste plus beaucoup de secteurs à la traîne sur les Bourses occidentales. L’un d’eux est très en retard. Et personne ne l’aurait d’ailleurs imaginé, il y a dix ans. À l’époque, les services d’utilité publique (” utilities “) étaient généralement considérés comme un secteur défensif offrant des dividendes (assez) prévisibles, un secteur idéal pour l’investisseur bon père de famille. Une décennie plus tard, cette perception ne correspond plus du tout à la réalité du marché.

Au cours de la décennie écoulée, Engie, E.ON et RWE ont perdu ensemble plus de 120 milliards d’euros de valeur boursière

Cancres

Au risque de retourner le couteau dans la plaie, voici une série de chiffres et statistiques assez douloureuses. Le Stoxx Europe600 Utilities se trouve aujourd’hui 49% sous son pic de début 2008, ce qui en fait le secteur le moins performant d’Europe. ” Merci “, au passage, à des actions comme EDF (-86% sur 10ans), RWE (-81%), E.ON (-75%) et Engie (-62%). Au cours de la décennie écoulée, le trio Engie – E.ON – RWE a perdu plus de 120 milliards d’euros de valeur boursière à lui seul. C’est presque autant que la capitalisation boursière totale de l’indice BEL20 (123 milliards d’euros sur la base des pondérations actuelles).

Au sein de ce BEL20, Engie est la seule action en baisse sur ces cinq dernières années et sa sous-performance s’établit à quelque 50% par rapport à la deuxième action la moins performante, Cofinimmo (- 35% contre +15%). En 2009, RWE distribuait encore un dividende brut de 4,48 euros par action. Comme l’an dernier, les actionnaires ne toucheront rien cette année. Chez E.ON, le dividende brut est passé de 1,50 euro brut par action à 0,21 euro attendu en mai de cette année. Engie a encore distribué 1 euro brut par action au total (dividende intérimaire et de clôture) cette année, mais il s’élevait encore à 1,60 euro brut en 2009.

Tournant

Quel bouleversement mondial peut justifier un tel retournement de tendance ? Tout d’abord, il y a bien entendu la crise bancaire. La crise financière a clairement marqué une inflexion dans la courbe de croissance. En Europe plus qu’ailleurs, car la crise de l’euro qui lui a succédé a encore pesé davantage sur la croissance du Vieux-Continent. Et il y a bel et bien un lien entre la croissance économique et la consommation d’électricité, surtout dans l’industrie. De plus, le secteur affichait traditionnellement un taux d’endettement élevé car ses acteurs devaient investir dans de nouvelles installations coûteuses. Le marché n’en prenait pas ombrage compte tenu des cash-flows (relativement) prévisibles. Mais tout a changé ces dernières années. Le changement climatique, avec le réchauffement de la terre, n’a pas favorisé davantage le secteur des services d’utilité publique, bien au contraire. Les hivers plus doux en moyenne ont clairement affecté la consommation d’électricité.

Pour couronner le tout, il y a eu la catastrophe nucléaire de Fukushima en mars 2011, qui a soulevé de lourds débats et suscité de nombreux doutes concernant l’énergie nucléaire en Europe. L’Allemagne s’est montrée particulièrement radicale en décrétant “l’Energiewende”, le tournant énergétique. La plus grande économie d’Europe a opté résolument pour les énergies alternatives et sortira définitivement du nucléaire fin 2021. La Belgique voulait prendre la même voie, mais a déjà renoncé à plusieurs reprises à fermer définitivement ses centrales nucléaires. La décision allemande a en tout cas été dramatique pour l’industrie, en premier lieu les producteurs allemands d’électricité E.ON et RWE. Sans compter le fait que les rares pays qui veulent encore installer de nouvelles centrales nucléaires (Finlande et Royaume-Uni) font face à d’énormes problèmes opérationnels et que les centrales modernes s’avèrent extrêmement coûteuses, avec de gros dépassements de budgets.

Solution

Alors que la facture énergétique du consommateur moyen n’a fait qu’augmenter, les prix de gros de l’électricité n’ont cessé de reculer ces dernières années. Il a donc fallu revoir totalement le modèle économique. Mais il n’est pas aisé de joindre l’acte à la parole. Le secteur nucléaire, en particulier, exige d’importantes capacités humaines et de lourdes procédures vu l’aspect crucial de la sécurité. Ce sont donc les sièges et les services administratifs qui ont subi l’essentiel des économies.

Mais après plusieurs années sans amélioration, des mesures plus draconiennes s’imposaient. Surtout lorsque l’État allemand a décidé d’imposer aux producteurs déjà en pleine déliquescence d’intervenir dans les coûts du démantèlement des centrales nucléaires et du traitement des déchets. Un fonds a été constitué à cet effet, que les quatre producteurs allemands d’électricité doivent alimenter à concurrence de 23,6 milliards d’euros. Les seules E.ON et RWE doivent y contribuer à hauteur de 16,7 milliards d’euros. Elles ont donc recherché une solution dans une scission des entités (le nucléaire, le gaz et le charbon). E.ON a créé Uniper pour y héberger tous ses sites de production, y compris le traitement des déchets nucléaires. Mais le gouvernement allemand s’y est opposé. RWE a procédé autrement. Il a isolé dans sa filiale Innogy – que lorgnerait Engie, dit-on – les activités aux perspectives favorables comme l’électricité verte, la distribution, etc.

Éclaircies

Tout n’est donc pas rose dans le secteur. Mais tout n’est peut-être pas aussi noir que les marchés l’envisagent aujourd’hui. Plusieurs dirigeants du secteur ont déjà laissé entendre que la baisse des prix de gros s’était interrompue. Offre et demande sont à nouveau en train de s’équilibrer, et les producteurs continuent à améliorer leur structure de coûts. D’un point de vue environnemental, il est également évident que les centrales au charbon et au lignite sont elles aussi condamnées en Allemagne et Pologne. Elles devront être remplacées par davantage d’électricité verte. Enfin, la Cour constitutionnelle allemande de Karlsruhe a décidé qu’E.ON et RWE pouvaient exiger une indemnisation du gouvernement allemand pour la sortie anticipée du nucléaire (initialement prévue pour 2034), laquelle doit en effet être considérée comme une ” expropriation “. E.ON réclame 8 milliards d’euros à l’État allemand.

Les véritables investisseurs à contre-courant opteront pour Engie et E.ON

Les cancres pour les audacieux

C’est une bonne leçon de psychologie financière : des actions aussi populaires qu’Engie, E.ON et RWE il y a dix ans sont aujourd’hui totalement délaissées. Oseriez-vous dire que vous détenez encore de telles actions en portefeuille ? Ou que vous y investiriez volontiers ? Et pourtant… Un tel contexte est précisément porteur d’opportunités à long terme. Comme évoqué plus haut, certains indices suggèrent aussi que le pire est passé, alors que plusieurs facteurs pourraient soutenir le secteur à plus long terme, comme la percée attendue de la voiture électrique. Parmi le trio précité, c’est pour RWE que les analystes sont actuellement les moins pessimistes, mais l’action est déjà en plein redressement.

Les véritables investisseurs à contre-courant opteront donc pour Engie et E.ON. Comme le démontrent les résultats annuels moins mauvais que prévu d’Engie, il ne faudrait pas grand-chose pour amorcer un redressement du cours. Il est probable qu’après une performance aussi négative, ces actions fassent à nouveau mieux que les indices au cours des années à venir. Innogy peut même être intéressant à court terme dans une optique spéculative en raison de l’intérêt attribué à Engie. Nous étudions l’opportunité de commencer le suivi d’une ou de plusieurs entreprises allemandes de services d’utilité publique, parallèlement à Engie.

Lyxor Stoxx Europe 600 Utilities ETF

Ceux qui veulent miser une partie réduite de leur portefeuille d’actions sur un redressement du secteur des services aux collectivités peuvent bien entendu opter pour des actions individuelles (de “cancres”), mais le tracker Lyxor Stoxx Europe600 Utilities ETF (ticker UTI, valeur boursière de 58,6 millions d’euros répartie sur 1,6 million d’actions ; code ISIN FR0010344853) constitue une alternative très valable. Sa composition n’est peut-être pas idéale – la plupart des actions sanctionnées ont naturellement perdu beaucoup de poids dans les indices et donc dans les trackers ces dernières années, mais la problématique est naturellement plus ou moins identique pour l’ensemble du secteur, et ce tracker offre une belle diversification sur l’ensemble des services d’utilité publique en Europe.

Les 10 principales participations du Lyxor Stoxx Europe600 Utilities ETF

National Grid 14,8 %

Iberdrola 12,1 %

Enel 10,8 %

Engie 6,9 %

SSE 5,9 %

Centrica 4,7 %

E.ON 4,5 %

Snam 3,2 %

Veolia Environnement 3,0 %

United Utilities Group 2,6 %

Source : Bloomberg

Partner Content