Les géants de l’agroalimentaire sur la corde raide

Peter Brabeck-Letmathe © AFP

Pendant des années, les actions de Nestlé, Danone et Unilever, les trois géants européens de l’agroalimentaire, ont été garantes de gains boursiers supérieurs à la moyenne. Mais depuis deux à trois ans, ce n’est plus le cas. Pourtant, chacun de ces groupes a plusieurs atouts.

Le moteur de la croissance a clairement des ratés. La croissance organique de Nestlé (croissance propre, hors acquisitions) n’a pas dépassé 2,9% au quatrième trimestre de l’an dernier. Unilever (2,2%) et Danone (2,1%) ont encore fait moins bien. De plus, les prix des matières premières sont en hausse, et il est de plus en plus difficile de les répercuter sur les consommateurs. Pourquoi ne pas s’attaquer, dès lors, à la structure des coûts, pense le trio, en choeur.

L’entreprise américaine Kraft Heinz est sortie de sa réserve il y a quelques semaines en lançant une offre sur Unilever. Le grand investisseur Warren Buffett, l’une des locomotives de Kraft Heinz, estime qu’il est possible de dégraisser la structure d’Unilever. Il en résulterait un bénéfice net plus élevé. L’offre (refusée) a manifestement réveillé Unilever.

Consommateur actif

Nestlé et Danone subissent les conséquences de l’augmentation du prix du lait brut, matière de base des aliments pour bébés dans lesquels ils sont leaders de marché. De plus, la nouvelle législation relative aux publicités en faveur des produits alimentaires frappe de plein fouet les deux groupes: les producteurs doivent désormais étayer leurs affirmations relatives à l’effet bénéfique sur la santé de produits comme Actimel et Activia.

Les consommateurs sont devenus plus exigeants. Ils recherchent des produits plus sains, réclament un meilleur contrôle des méthodes d’élevage, veulent connaître les conditions de travail du personnel ouvrier, etc. Dans le même temps, ils recherchent les prix les plus bas. Résultat: il n’est pas toujours possible pour les producteurs de répercuter sur les prix de vente l’augmentation des coûts de production, et les marges s’érodent.

Législation durcie

Pour la croissance de sa division Nutrition infantile, Danone mise surtout sur l’Asie, en particulier la Chine où la politique de l’enfant unique a été levée. Mais les Chinois ont été échaudés par une série de scandales dans le secteur agroalimentaire ces dernières années. Il en résulte des exigences beaucoup plus strictes, surtout pour les aliments pour bébés. Leurs conséquences se feront pleinement sentir à partir de début 2018.

Nestlé n’est pas aussi tributaire du marché asiatique que Danone, puisque le premier réalise 30% de son chiffre d’affaires aux États-Unis. Mais la hausse du prix du lait brut et le durcissement constant de la législation sur les produits alimentaires affectent bien entendu tous les producteurs.

Nestlé : bilan robuste

Nestlé est le premier groupe agroalimentaire mondial. L’entreprise suisse fondée en 1866 par Henri Nestlé est l’incontestable numéro un de l’alimentation, de la santé et du bien-être. Son chiffre d’affaires (CA) a légèrement progressé l’an dernier (de 0,8%, à 89,5milliards de francs suisses). Sa marge opérationnelle s’est également améliorée. La croissance autonome du CA s’élevait à 3,2%, pour un résultat net de 8,5 milliards de francs. Le bénéfice par action a gagné 3,4% à 3,40 francs et Nestlé propose un dividende de 2,30 francs par action. Pour 2017, la direction table sur une croissance autonome comprise entre 2 et 4%. Les marges bénéficiaires doivent encore s’accroître, et Nestlé compte réduire ” significativement ” les coûts cette année. Surfant sur la tendance actuelle, le groupe promeut un mode de vie sain, et notamment la consommation de ses eaux minérales (Nestlé Pure Life, Valvert). Ses produits pour animaux (Friskies, Gourmet) sont eux relativement épargnés par les nouvelles règles en matière d’informations sanitaires.

Nestlé affiche un bilan exceptionnellement solide. L’entreprise peut donc pleinement investir dans de nouveaux produits et des méthodes de production innovantes. Son nouveau directeur (CEO) depuis le début de l’année, Ulf Schneider, a d’ailleurs laissé entendre qu’il voulait pleinement jouer cette carte cette année. Sans doute Nestlé _ comme Unilever _ va-t-il céder une série de marques. Dans la division Céréales pour petit-déjeuner (Nesquik, etc.) par exemple, les Suisses sont en concurrence avec des géants comme Kellogg et General Mills.

Ulf Schneiderest un spécialiste des services pharmaceutiques. Il est donc tout à fait possible que Nestlé concentre une grande partie de ses efforts et de ses moyens dans le domaine très porteur de la santé au cours des années à venir.

Danone : États-Unis

Le groupe français Danone dispose de 180 unités de production qui emploient quelque 100.000 personnes. L’entreprise se positionne autour de quatre piliers: les produits laitiers frais, l’eau, la nutrition infantile et la nutrition médicale. Si le bénéfice a progressé en 2016, le chiffre d’affaires a reculé (de 2,1%, passant de 22,4 milliards 21,9 milliards d’euros) et la croissance organique est retombée à son plus bas niveau en une décennie. Les Français ont réagi l’été dernier en acquérant l’entreprise américaine WhiteWave, spécialisée dans le lait de soja. Le chiffre d’affaires va donc mécaniquement progresser cette année.

L’entreprise propriétaire des marques Actimel et Activia a enregistré un bénéfice net de 1,7 milliard d’euros en 2016 (1,3 milliard en 2015). Le bénéfice par action s’élève à 2,79 euros et devrait augmenter de plus de 5% cette année. Danone propose un dividende de 1,70 euro par action (soit 6,3% de plus qu’il y a un an).

Unilever : pris pour cible

Le groupe néerlando-britannique Unilever possède un portefeuille d’environ 400 marques, vendues dans plus de 190 pays. Chaque jour, 2,5 milliards de personnes utilisent un produit Unilever ! Le groupe emploie plus de 169.000 personnes. La croissance du chiffre d’affaires (CA) a ralenti au quatrième trimestre 2016 par rapport au trimestre précédent _ alors que presque tous les analystes avaient tablé sur une hausse. Le CEO Paul Polman a évoqué des ” conditions de marché difficile “. Sur l’ensemble de l’année 2016, le chiffre d’affaires (CA) d’Unilever a baissé de 1%, à 52,7 milliards d’euros. Le bénéfice net a cependant progressé de 5,5%, à 5,5 milliards d’euros l’an dernier. Unilever a proposé un dividende de 0,3201 euro par action pour le quatrième trimestre. Le groupe est optimiste pour cette année. Il table sur une croissance du marché supérieure à la moyenne, une accélération de la hausse de la marge opérationnelle et des cash-flows libres solides.

Paul Polman entend faire mieux que la moyenne du marché, malgré une conjoncture difficile au premier semestre 2017. Dans cette optique, il veut alléger les coûts de 6 milliards d’euros. Le groupe se sépare donc de sa branche Margarine, en ce compris la marque Becel, qui dégage un CA annuel de 3milliards d’euros. Les acheteurs potentiels sont Bain Capital, CVC et Clayton Dubilier & Rice. Mais Kraft Heinz serait également dans la course…

La Bourse applaudit les projets de la direction d’Unilever, qui relève le dividende de 12% et rachète pour 5 milliards d’euros d’actions propres. À l’annonce de l’offre de Kraft, le cours d’Unilever avait aussitôt bondi de 10%. Malgré l’échec de la transaction, l’action évolue toujours à un niveau record.

À chaque géant ses atouts

– Sa valorisation confère sans nul doute un atout à Danone, puisque le géant français de l’agroalimentaire s’échange moyennant une nette décote par rapport à ces deux grands concurrents européens. L’évolution du bénéfice a naturellement déçu ces dernières années, mais si l’acquisition de WhiteWave s’avère un coup dans le mille, nous aurons certainement droit à un mouvement de rattrapage en matière de valorisation. En cas de flop, le scénario d’un rachat – l’entreprise familiale évoque l’idée depuis des années – pourrait être remis à l’ordre du jour.

– Nestlé vit avec son temps, dispose de marques fortes et affiche un bilan solide. L’action a subi une nette correction au deuxième semestre 2016, mais s’est redressée depuis. Elle n’est pas vraiment chère.

– L’action Unilever a clairement le vent en poupe et a gagné environ 20% en un mois. Le CEO Polman inspire manifestement confiance. Il a promis de réduire les coûts, céder les branches les moins rentables et ainsi améliorer la rentabilité d’Unilever, afin d’éviter une nouvelle offre hostile.

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