Le calme avant la tempête ?

Bien que 2013 ait été tourmenté, on peut se féliciter qu’aucune calamité ne soit survenue. Certes, le secteur bancaire a régulièrement été secoué, affecté par d’innombrables scandales, mais aucune banque n’a disparu pour autant. Les finances publiques ont connu nombre de déboires, mais aucun pays n’a sombré. On parle même d’amélioration. Alors, peut-on s’en réjouir et commencer à espérer des jours meilleurs ? Pour répondre à la question, il est bon de se pencher sur l’attitude des banques centrales occidentales.

Ce sont les banques centrales occidentales, en effet, qui ont maintenu le système à flot. Or c’est précisément à ce niveau que le bât commence à blesser. Les Banques centrales américaine et britannique s’apprêtent à réduire leurs largesses alors que celle du Japon envisage le contraire. Quant à l’européenne, elle devra superviser les plus grandes banques de la zone et comprend que cette tâche est insurmontable. On peut par conséquent craindre que la première de ces banques centrales qui passera à l’action provoque des réactions en chaîne de la part des autres. Pour l’instant, seule la nippone a annoncé vouloir accélérer l’assouplissement monétaire en cours. Ce qui aura des conséquences néfastes.

La Banque centrale américaine (Fed) n’agira qu’après le remaniement de sa direction. Janet Yellen succédera en début d’année à Ben Bernanke. En Grande-Bretagne, le nouveau gouverneur d’origine canadienne, Mark Carney, n’a pas encore réussi à prendre ses marques. Il a déjà secoué les marchés avec des propos incongrus. Quant à Mario Draghi, le président de la BCE, il attend avec anxiété le résultat des pourparlers européens sur l’instauration d’une union bancaire. La BCE saura, en fonction de ce qui se décidera, si elle reste la principale institution de dernier recours ou si une autre institution assumera cette charge.

Dans le courant de l’année prochaine, une kyrielle de mesures verront le jour. La plus importante d’entre elles est sans conteste la loi Dodd-Frank aux Etats-Unis. Cette loi comporte plus de 800 pages et encore plus de 10.000 supplémentaires pour en expliquer les articles. Autrement dit, un mastodonte impraticable. Les plans concernant les banques seront eux aussi mis en place graduellement au sein de l’Union européenne. Toutes ces nouvelles mesures s’entrechoqueront. Ce qui compliquera davantage le redressement effectif du secteur bancaire.

A côté de ces aspects plutôt politiques, il y a l’attitude des banques. Et là, les choses ne sont franchement pas prometteuses. Il suffit de compulser les statistiques pour s’en rendre compte. Les banques ne remplissent toujours pas leur rôle économique et travaillent trop peu à la résorption de leurs dettes incommensurables. Elles utilisent les fonds qui leur sont alloués à des fins propres. Et quand bien même elles souscrivent aux emprunts d’Etat, c’est dans le but de les remettre en gage à leur banque centrale pour obtenir des crédits supplémentaires.

Prenons l’exemple du marché des changes. Avant que la crise n’éclate, on y traitait quelque 3.324 milliards USD par jour, dont 1.000 milliards au comptant. Trois ans plus tard, en pleine crise, ce volume avait grimpé de 20%, s’établissant à 3.971 milliards. Aujourd’hui, on échange pour pas moins de 5.345 milliards tous les jours, dont plus de 2.000 milliards au comptant, alors que l’économie mondiale se tasse. Chaque jour ouvrable s’échange un volume que les Etats-Unis mettent quatre mois à produire ! Cette évolution phénoménale n’a plus grand-chose à voir avec l’activité marchande internationale. Ces échanges ne font qu’alimenter la spéculation sur bon nombre de devises.

Les produits dérivés, les plus grands responsables de la crise actuelle, n’ont pas disparu. Peu avant que la crise n’éclate, leur valeur notionnelle – la valeur que ces produits représentent et qu’il faut débourser lors de leur exécution – atteignait un peu plus de 500.000 milliards USD, soit plus de 30 fois le PIB des Etats-Unis. De nos jours, leur valeur dépasse les 700.000 milliards ! Le gros des contrats concerne des produits sur taux d’intérêt. En 2007, ils représentaient 75% de l’ensemble. Aujourd’hui, ils correspondent à 83% du total.

Les banques continuent donc d’émettre des produits dérivés. Elles ont émis plus de 258.615 warrants depuis le premier janvier. Toutes sortes de warrants, concernant toutes sortes de valeurs sous-jacentes. Elles ont aussi émis bon nombre d’obligations, tant pour le compte d’entreprises que pour le leur. Le montant des émissions pourries n’a jamais été aussi élevé qu’aujourd’hui. On a vu apparaître pour près de 340 milliards USD de ces emprunts, très appréciés tant par les particuliers que par les institutionnels, tous à la recherche de rendements élevés.

Les banques ont émis de nombreux emprunts structurés afin de consolider leur capital. Les obligations convertibles, surtout les contingent convertibles (co-co) avaient et ont toujours la cote. Ce sont des obligations qui sont automatiquement converties en actions dès qu’un rapport entre le capital et les engagements descend sous un seuil déterminé. Certaines d’entre elles perdent toute leur valeur à cet instant.

Les obligations sécurisées n’étaient pas en reste non plus. D’autant moins que les banques centrales les acceptent comme gage à leurs crédits. En clair, après avoir camouflé leurs dettes insolvables par tous les moyens – souvent avec la bénédiction des autorités – elles tentent aujourd’hui de s’en sortir en augmentant leur endettement. Cette approche leur coûte pas mal d’argent. La volonté politique de maîtriser cela fait encore défaut.

Pour le porteur d’obligations, la prudence reste de mise. Bien sûr, tout le monde scrute la décision que prendra la Fed prochainement. Osera-t-elle réduire ses largesses ? En soi, la nouvelle n’a pas tellement d’importance. Tout le monde se rend compte que la politique monétaire menée jusqu’à présent n’est qu’artifice et ne résout rien. Les banques occidentales n’en font qu’à leur tête. Elles ne concèdent pas de crédits et ne participent donc pas au redressement conjoncturel. Les banques centrales devront tôt ou tard changer de politique. Personne ne sait comment ni quand. Mais tout le monde est conscient que cela ira de pair avec une hausse des taux d’intérêt. Les investisseurs en tiennent déjà compte dès aujourd’hui. Les taux grimpent partout, sauf au Japon.

Un autre danger surgit, toujours dans le secteur bancaire. Depuis le big bang de 1986, les grandes banques font fonction de teneurs de marché sur tous les marchés financiers. Ce sont elles qui déterminent les prix. Ce système anglo-saxon a été adopté par le monde occidental. En soi, ce système n’est pas mauvais, à condition que tout le monde en respecte les règles.

Un teneur de marché s’engage à publier en permanence les cours acheteur et vendeur pour chaque produit qu’il négocie sur les marchés où il est présent. Il modifie ses prix en fonction des transactions exécutées, mais aussi en fonction du niveau des taux d’intérêt. En effet, le teneur de marché comparera toujours le retour escompté entre son négoce de titres et celui d’un compte bancaire. Si les taux d’intérêt augmentent, il aura tendance à privilégier le compte bancaire et vendra en conséquence ses titres. Les prix chuteront. Ce comportement explique la sensibilité des Bourses face aux taux d’intérêt.

Cette attitude subit de graves perturbations depuis quelques années, en fait depuis l’apparition du high frequency trade (HFT). Il s’agit d’ordres émanant de programmes informatiques exécutés à la milliseconde. A peine 10% de ces ordres sont effectivement exécutés, le reste étant annulé. Ces ordres n’ont aucune raison économique. Ils visent à profiter au mieux des plus petits écarts de cotation apparaissant sur les marchés. Souvent, ils créent eux-mêmes ces écarts pour influencer le marché dans une direction précise. Les teneurs de marchés peuvent être terrassés par ce genre d’activité. Le HFT attise l’instabilité. Il sévit principalement sur les Bourses, le marché des changes et les marchés des matières premières. Pour l’instant, on n’en trouve pas encore de trace sur le marché obligataire. Ce qui n’en élimine pas le danger pour autant. Comme décrit plus haut, tout teneur de marché doit publier en permanence un prix tant à l’achat qu’à la vente. S’il vient à être submergé par des ordres intempestifs sur un des marchés qu’il conduit, il tentera de récupérer sa perte sur d’autres marchés.

Certaines séries obligataires pourraient être affectées par de tels comportements, principalement les plus médiocres d’entre elles. On le constate déjà depuis plusieurs mois. L’incertitude concernant l’évolution des taux d’intérêt a incité pas mal d’investisseurs à revoir la composition de leur portefeuille. Les fluctuations que ces réaménagements ont engendrées étaient souvent substantielles, dépassant les 10% en une semaine.

Un autre phénomène préoccupant est celui de la baisse de négociabilité des émissions fraîchement lancées. Le cours d’une obligation se déduit du niveau des taux d’intérêt, tout en tenant compte de la qualité de l’émetteur. Dès que les taux se mettent en mouvement, les cours oscilleront dans la direction opposée. Cette oscillation augmente avec la durée résiduelle de l’obligation. Elle dépend aussi de la hauteur du coupon nominal. Plus ce dernier est élevé, moins importante sera l’oscillation. Les teneurs de marché favorisent les obligations dont le coupon nominal avoisine le niveau des taux d’intérêt. Ce faisant, ils savent que le cours sera proche du pair (100%).

Dès que le coupon nominal s’écarte du taux en vigueur, un calcul plus compliqué est requis pour déterminer le cours de l’obligation. Pour éviter cet embarras, les teneurs de marché ont tendance à négliger ces obligations. Leur négoce s’estompe peu à peu jusqu’au jour où les taux d’intérêt se rapprocheront de nouveau du coupon nominal. Pour autant que cela se produise, bien sûr.

Les taux d’intérêt glissent actuellement vers le haut. Le mouvement est encore faible, surtout pour les devises principales, et pas d’une telle envergure à compliquer la tâche des teneurs de marché. La fixation du prix ne peut donc pas poser de problèmes ardus actuellement. Pourtant, on remarque que les émissions industrielles vieilles de deux mois à peine reçoivent de moins en moins régulièrement une cotation. Sans doute les teneurs de marché, les banques donc, veulent-ils se débarrasser plus rapidement de ces titres. Tout porteur d’obligations doit tenir compte de cette nouvelle attitude et comprendre qu’il devra conserver ses titres jusqu’à l’échéance s’il veut éviter d’être dupé par des cotations injustifiées.

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