La pénurie de semi-conducteurs freine le secteur automobile

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Malgré le nombre record de livraisons, même Tesla souffrirait, selon Elon Musk, de la pénurie; mais l’homme se dit convaincu que la crise s’achèvera l’an prochain. Pour d’autres, au contraire, la situation pourrait s’éterniser jusqu’en 2023, car la demande restera soutenue et l’offre, limitée.

Le secteur automobile est confronté à une importante pénurie de semi-conducteurs, communément appelés puces. Mais tous les constructeurs ne sont pas nécessairement logés à la même enseigne.

Il y a quelques semaines, Audi annonçait la suspension de la production de son usine bruxelloise en raison de la pénurie de puces, ces composants électroniques qui équipent presque toutes les voitures. La production d’Audi Bruxelles avait déjà été interrompue plusieurs semaines durant en février et en juin, ce qui avait contraint près de 2.000 des 3.000 membres du personnel à recourir au chômage temporaire. Les problèmes de livraison devraient persister jusqu’à la fin de l’année. Deux modèles de l’Audi e-tron, le premier SUV électrique de la marque, qui regorge de puces, sont assemblés dans la capitale.

Volvo, Volkswagen, Daimler, General Motors et Ford en sont eux aussi réduits à ralentir, voire à arrêter, leur production. Les Volvo, actuellement très demandées, sont livrées au compte-gouttes. A 47.223 unités, les ventes du mois de septembre ont été inférieures de 30% à celles de septembre 2020. La pénurie a des conséquences colossales sur les résultats de la plupart des constructeurs. D’après le bureau d’études américain AlixPartners, la perte de chiffre d’affaires que provoque cette situation devrait atteindre 210 milliards de dollars cette année.

Chiffres records chez Tesla

Tesla n’a jamais fabriqué que des voitures électriques. En septembre, sa part de marché en Belgique était de 2,2%, un chiffre qui, comparé aux 10% ou presque que détient le pôle voitures électriques d’un mastodonte comme Volkswagen, est relativement insignifiant. Notons cependant que les Américains souffrent beaucoup moins de la pénurie, alors même que leurs automobiles sont remplies de semi-conducteurs. Tesla a livré 241.300 voitures électriques au troisième trimestre, contre 139.000 un an plus tôt. Son dernier record remontait au deuxième trimestre de cette année.

Selon Dan Ives, analyste chez Wedbush et fervent admirateur de Tesla, le quatrième trimestre, de même que l’ensemble de l’année 2022, s’annoncent fabuleux pour l’entreprise de Palo Alto. Ce qui n’empêche pas son objectif de cours de 1.000 dollars d’en faire sourciller plus d’un. Malgré le nombre record de livraisons, Elon Musk affirme que son groupe souffre lui aussi de la pénurie – il s’agirait même, selon lui, de la principale difficulté à laquelle il est confronté. Mais l’homme se dit convaincu que la crise s’achèvera l’an prochain; de nombreuses usines sont en cours de construction et les capacités disponibles devraient redevenir raisonnables dès 2022. Glenn O’Donnell, vice-président de la société de conseil Forrester, pense au contraire que la situation pourrait s’éterniser jusqu’en 2023, car la demande restera soutenue et l’offre, limitée.

Retards considérables

La crise sanitaire a fait chuter les ventes de voitures neuves l’an dernier. Les confinements ont provoqué la fermeture de près de 90% des usines de construction de véhicules et de composants en Chine, en Amérique du Nord et en Europe. Tout naturellement, le secteur ne s’est pas précipité pour commander des puces; mais lorsque le marché est sorti du coma, au troisième trimestre de 2020, les problèmes d’approvisionnement se sont fait sentir: les fabricants d’ordinateurs, de télévisions et d’autres produits électroniques grand public, ainsi que ceux d’équipements médicaux, qui avaient, eux, continué à commander, se sont vu accorder la priorité, tandis que les constructeurs automobiles étaient relégués tout en bas des listes.

Ford s’attend dès lors à subir une baisse de 10% à 20% de sa production. Volkswagen annonce des retombées sur ses modèles Golf et Tiguan, entre autres. Nissan et Honda ont mis leurs chaînes britanniques à l’arrêt. Mercedes-Benz espère réussir à compenser les pertes au cours des mois qui viennent, mais rien ne dit qu’elle y parviendra. La pénurie pourrait se prolonger jusque loin en 2022. Toyota, qui s’était assuré des livraisons pour plusieurs mois, est moins touché. Hyundai-Kia, Polestar et MG ne souffrent pas encore, ou dans une mesure moindre: ces entreprises produisent elles-mêmes leurs composants, et dans de larges proportions, même, pour certaines d’entre elles.

La pénurie de semi-conducteurs tombe très mal pour le secteur automobile, appelé à investir d’urgence dans l’électrification du parc, ce qui coûte énormément d’argent. La valorisation de la plupart des actions ne dit d’ailleurs pas autre chose. Reste que, soutenues par une reprise économique plus rapide et plus vigoureuse que prévu, les actions se sont bien comportées l’an dernier; la quasi-intégralité d’entre elles a même considérablement progressé ces 12 derniers mois.

Introductions en Bourse

Une évolution qui ravive l’enthousiasme et fait envisager des entrées en Bourse (IPO). Volvo Cars a surpris les marchés en annonçant sa cotation à Stockholm, cette année encore en principe. Le groupe entend lever quelque 2,5 milliards d’euros, par l’émission d’actions nouvelles. Il devrait s’agir d’une des plus grandes IPO de l’année en Europe. Volvo devrait être évalué à 17 milliards d’euros, sinon plus. Son propriétaire, le constructeur automobile Geely, fera une excellente affaire. Cette entreprise chinoise avait racheté Volvo il y a une dizaine d’années à l’américain Ford, pour 1,5 milliard d’euros. Le groupe suédois se porte beaucoup mieux depuis, et a même renoué avec les bénéfices. Il utilisera les fonds pour accélérer sa transition vers une électrification complète, intensifier ses ventes en ligne et atteindre le niveau de sécurité suivant, a déclaré Hakan Samuelsson, son CEO. L’entreprise a écoulé plus de 530.000 voitures au cours des neuf premiers mois de cette année, soit près de 18% de plus que l’an passé. Ce chiffre devrait augmenter considérablement encore à l’avenir. D’ici quelques années, les nouvelles Volvo seront exclusivement électriques.

Geely possède également Polestar, qui envisage lui aussi d’entrer en Bourse. Ce fabricant de voitures électriques sophistiquées est valorisé à 17 milliards d’euros environ. Il organisera une IPO inversée par le truchement d’une special purpose acquisition company (SPAC), créée au début de cette année sous le nom de Gores Guggenheim. Polestar fusionnera donc avec cette coquille vide, une opération particulière qui a l’avantage de faire gagner beaucoup de temps – une introduction traditionnelle peut prendre des années et se révéler extrêmement coûteuse. Après l’opération, 6% environ des actions Polestar seront négociables sur le Nasdaq. La valorisation de 17 milliards d’euros correspond à trois fois le chiffre d’affaires escompté pour 2023. Vu sous cet angle, Polestar vaut près de deux fois plus que Renault, un des plus grands constructeurs automobiles mondiaux. Pour le CEO de Polestar, Thomas Ingenlath, ce chiffre n’a rien d’exagéré.

Polestar a vendu 9.000 voitures en 2020, principalement en Europe et en Asie. Or ce sont 290.000 unités par an qui devraient être écoulées d’ici à 2025 pour justifier la valorisation élevée. Tout cela nous semble fort optimiste, d’autant que le nouveau-venu devra faire face à une concurrence très rude de la part des marques traditionnelles. Mais beaucoup de choses sont possibles – il suffit d’observer Tesla, et sa valorisation chroniquement surréaliste. Des histoires “trop belles pour être vraies” peuvent parfois se vérifier, du moins temporairement.

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