La guerre des devises s’amplifie

Après la BCE il y a quinze jours, puis la Banque d’Angleterre la semaine passée, c’était au tour de la banque centrale américaine (Fed) de définir la politique monétaire des mois à venir.

Que la Fed réduise de 10 milliards son allocation mensuelle, tout le monde s’y attendait. Mais qu’elle ne relève pas ses taux directeurs ni n’envisage de le faire prochainement, a surpris tout le monde.

Les analystes en restent pantois. L’inflation, selon les chiffres officiels, accélère depuis quelques mois. On aurait pu s’attendre à ce que la Fed y attache de l’importance. Janet Yellen, la présidente de la Fed, a déclaré que cette évolution n’est qu’un bruit de fond sans véritable conséquence économique. Quand on sait que les prix pétroliers augmentent à la suite des tensions en Irak, on ne comprend pas très bien cette attitude.

En ne regardant que l’aspect purement monétaire, la décision de la Fed est parfaitement logique. Elle ne se préoccupe en fait que du dollar. Depuis l’assouplissement décidé par la BCE il y a deux semaines, le dollar (USD) s’est raffermi. La livre (GBP) l’a toutefois épaulé suite au durcissement de la politique monétaire de l’Angleterre, en assumant une partie de ce raffermissement. Mais cela ne suffisait pas. D’autant moins que d’autres pays, avec lesquels les Etats-Unis livrent en fait une guerre en sourdine, ont également pris des mesures pour endiguer l’utilisation du dollar.

Peu avant la réunion du comité monétaire de la Fed, la banque centrale norvégienne a revu ses prévisions fortement à la baisse. La croissance du pays se tasserait sensiblement dans les années à venir. La banque centrale ne prévoit donc aucun relèvement de ses taux avant fin 2016. La surprise était de taille et la couronne (NOK) a dégringolé de 2,6% par rapport à l’euro (EUR).

Facteurs alarmants pour les USA

La décision de plusieurs pays asiatiques de régler leurs échanges commerciaux dans leurs propres devises n’est pas bénéfique au billet vert. Jusqu’à présent, les Etats-Unis se souciaient peu des répercussions de telles mesures. Le dollar remplit en effet trois fonctions simultanément : il est la monnaie de règlement des échanges internationaux, celle servant de référence à la fixation des prix et la monnaie de réserve. Qu’il perde un de ces trois rôles n’inquiétait pas outre mesure. Mais depuis ce 14 mai, les choses s’accélèrent.

Ce jour-là, la Russie et la Chine ont convenu de régler leurs échanges commerciaux dans leurs devises respectives. Les deux pays ont immédiatement pris les dispositions pour que leurs banques puissent agir de la sorte. Et depuis la semaine passée, la chose est opérationnelle. Les deux pays ont depuis invité d’autres nations à les rejoindre. L’Inde, l’Iran, la Syrie, l’Egypte et bon nombre de pays africains ayant des affinités avec la Chine ont déjà acquiescé. Ce qui fera que le dollar perdra sa fonction de monnaie d’échange et de référence.

Autre facteur alarmant pour les Etats-Unis, la baisse constante de la participation des autres pays dans l’acquisition d’emprunts américains. Cela signifie que le billet vert perd lentement sa fonction de monnaie de réserve. D’après les chiffres du Fonds monétaire international (FMI), à peine un tiers des réserves mondiales sont exprimées en dollar. Avant que la crise n’éclate, leur part faisait encore plus de 50%. Cela concerne plus de 6.000 milliards USD.

Il est évident que les Etats-Unis ne peuvent tolérer que d’autres pays occidentaux puissent profiter de cette faiblesse. Ce qui explique pourquoi la Fed prendra toujours des mesures visant à atténuer sa faiblesse par rapport aux autres devises principales. C’est précisément ce genre de décision qui a été prise jeudi passé. L’USD a perdu 0,4% face à l’EUR et 0,45 par rapport à la GBP. La Chine, de son côté, a veillé à ne pas se laisser berner. Elle a manipulé le cours du yuan (CNY) de sorte qu’il fléchisse vis-à-vis de l’USD, préservant ainsi son avantage concurrentiel face à l’Occident. Le CNY a cédé 0,3% par rapport à l’USD et 0,7% face à l’EUR. Le rouble russe (RUB) ne s’est raffermi que de 0,2% par rapport à l’USD et a fléchi d’autant par rapport à l’EUR. Les tensions géopolitiques actuelles, tant en Ukraine qu’en Irak, jouent en faveur de la Russie, surtout grâce à la hausse du prix de l’or noir.

Le marché des capitaux patauge

La Fed possède pour quelque 4.300 milliards USD d’emprunts d’Etat, tous acquis dans le cadre de sa politique d’expansion monétaire. Elle utilisera ces titres pour influencer à sa guise le marché des capitaux le jour où elle fermera définitivement le robinet des liquidités. On le constate déjà aujourd’hui sur le marché de l’argent au jour le jour. La Fed y participe dans les activités de repos (contrats où une partie prête à l’autre contre des titres et vice versa). Mais contrairement à ce qui se déroulait avant, la Fed conclut ses contrats de repos non plus principalement avec les banques mais avec les institutions faisant partie des banques de l’ombre (institutionnels et fonds de placement). Ces institutions occupent de plus en plus la position des banques traditionnelles. Ce sont elles qui aujourd’hui fournissent le crédit alors que les banques y rechignent. La Fed intervient quotidiennement sur le marché de l’argent au jour le jour, empêchant ainsi que les banques de l’ombre ne puissent fixer les taux d’intérêt à leur guise.

Les porteurs d’obligations devront tenir compte de cette nouvelle tournure. A la longue, elle réduira la négociabilité des titres. Nous y reviendrons plus en détail prochainement. Pour l’instant, le marché des capitaux patauge suite aux décisions contradictoires prises par les banques centrales. Les opérateurs étaient particulièrement réticents la semaine passée. Les volumes échangés ont baissé et les échelles des taux d’intérêt se sont aplaties quasiment partout. Les taux à court terme ont progressé très légèrement tandis que les longs fléchissaient un peu. L’incertitude émanait aussi des mouvements sur le marché. Les souverains de qualité avaient la préférence tandis que ceux de la périphérie se tassaient.

Pour les porteurs fortunés

Les banques continuent d’émettre à tout va sur le marché primaire. Leurs titres sont souvent structurés ou adossés à des actifs particuliers. Ils ne sont pas destinés aux petits porteurs. Le fabricant de crème glacée anglais R&R Ice Cream (B), de qualité très médiocre, lance deux emprunts, l’un en EUR l’autre en AUD, dont le produit sera utilisé au financement de la reprise de son concurrent australien Peters Food. Le rendement proposé des deux émissions est particulièrement généreux. Les deux émissions rencontrent par conséquent énormément de succès et cotent déjà largement au-dessus du pair sur le marché gris. Ces deux émissions ne conviennent cependant qu’aux porteurs fortunés n’ayant pas froid aux yeux face aux risques.

La BEI (AAA, supranationale) émet de nouveau des tranches supplémentaires. La première en NOK, où il y a 146 jours d’intérêt à régler à la souscription, est trop chère. La précédente s’acquiert 1,5% meilleur marché sur le marché secondaire. Vous pouvez aussi opter pour la Landwirtschaftliche Rentenbank (AAA, avec garantie de l’Allemagne, alt.2) qui est plus performante encore tant que frais et différence de prix ne dépassent pas 3,17%. L’autre, en lire turque (TRY) où il y a 222 jours à régler, est techniquement correcte. Signalons toutefois que la tranche existante se négocie sporadiquement. Elle s’est échangée pour la dernière fois le 29 mai dernier à 98,68%. BNP Paribas Fortis Funding (A) en dollar néo-zélandais (NZD) est peu attrayante. Son importance dépendra de son succès auprès des investisseurs, pratique identique à celle de la KBC Ifima dont les trois émissions de la semaine dernière n’ont même pas rapporté 5 millions chacune. Vous trouverez sans difficulté mieux sur le marché secondaire, comme cette ABN Amro Bank (A, alt.3) qui sera plus facilement négociable et rapporte nettement plus tant que frais et différence de prix n’excèdent pas 2,07%.

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