La guerre des devises s’accentue

Quatre banques centrales l’ont alimentée en diffusant des propos contradictoires.

La première d’entre elles, la Réserve fédérale (Fed), par la voix de sa présidente Janet Yellen, a surpris les marchés. Elle a en effet affirmé que les risques de stabilité financiers n’avaient que peu d’incidence sur la politique monétaire. Que comprendre d’une telle déclaration ? La Fed oserait-elle abandonner les marchés et leurs opérateurs quand les choses tourneraient mal ou, pis, quand tout s’effondrerait ? En fait, il faut retourner le raisonnement. La politique monétaire ne doit pas être exclusivement tributaire des tribulations financières. Dit autrement, Janet Yellen s’est donné une excuse pour maintenir les taux d’intérêt bas aussi longtemps qu’elle le souhaite.

La déclaration tombe à point nommé. Les marchés anticipent une hausse progressive des taux d’intérêt suite à l’embellie économique dans le pays. Le chômage régresse d’après les derniers chiffres recensés. Si on ne peut récuser l’amélioration, il faut toutefois relativiser les données. On ne parle jamais de la précarité des nouveaux emplois, ni de la croissance permanente de la population active. D’un point de vue purement statistique, les Etats-Unis devraient créer 350.000 emplois neufs tous les mois rien que pour maintenir tout le monde au travail. On est loin du compte !

Autres troubleurs

Le deuxième troubleur n’était autre que Mario Draghi, le président de la Banque centrale européenne (BCE). Il a réitéré sa volonté de procéder à une expansion monétaire, pas seulement pour endiguer tout risque de déflation, mais surtout pour atténuer la valeur de l’euro (EUR). Au même moment, le gouverneur de la banque centrale australienne, Glenn Stevens, exprimait ses préoccupations sur la fermeté du dollar (AUD). Il lui attribue la décélération économique actuelle enregistrée dans le pays.

Plus près de chez nous, la Riksbank suédoise a décidé de réduire ses taux directeurs de 0,25%. L’argumentaire ressemblait à celui utilisé par la BCE : endiguer le risque de déflation. Sa consoeur norvégienne avait formulé une crainte identique, sans pour autant procéder à une diminution de ses taux. Il s’est ensuivi une baisse de la couronne suédoise (SEK) de 1,25% par rapport à l’EUR, de 0,5% de la norvégienne (NOK) et d’autant de l’AUD. Le dollar (USD) pour sa part s’est légèrement raffermi, gagnant 0,25%.

Tenter de relancer la conjoncture en exportant ses problèmes de la sorte vers d’autres pays ne réussit jamais. Les pays victimisés par de telles actions se rebiffent déjà, plus particulièrement les pays émergents. Ils préparent actuellement de nouvelles institutions qui se passeront des occidentales. Les amendes vertigineuses imposées par les autorités américaines à plusieurs banques européennes fragilisent à terme le dollar. Rappelons le fonctionnement du système monétaire tel qu’il existe à nos jours.

Depuis la Seconde guerre mondiale, le dollar règne sur toutes les transactions financières internationales. Le système bancaire occidental l’a d’ailleurs adopté dès le début, de sorte que la plus petite transaction entre deux ou plusieurs devises implique toujours le dollar. Celui qui veut échanger des livres (GBP) contre l’EUR passera inévitablement par l’USD. Il échangera d’abord ses GBP contre des USD et avec ces derniers, acquerra les EUR. Quand les Etats-Unis imposent des sanctions à l’encontre de certains pays et interdisent tout échange financier avec ces derniers, aucune banque, même en dehors des Etats-Unis, ne peut contourner l’interdiction, précisément parce que l’USD sert de pivot.

Toutes les banques ont un ou plusieurs correspondants aux Etats-Unis, des banques américaines en l’occurrence qui gèrent leurs avoirs en USD. Tout dollar-transfert, c’est-à-dire des USD sur un compte bancaire destinés à régler des transactions commerciales ou financières, se trouve aux Etats-Unis. On parle volontiers du ‘dollar overhang’, c’est-à-dire des dollars se trouvant dans le pays mais possédés par des étrangers. On comprend donc la facilité qu’ont les autorités américaines à déceler tout mouvement litigieux. On comprend aussi la facilité qu’ont ces mêmes autorités à condamner des banques telles que la Barlcays Bank, la Deutsche Bank, l’UBS ou BNP Paribas.

On peut sans doute se réjouir que les autorités compétentes parviennent à condamner les fauteurs, mais si ces derniers estiment qu’elles en font trop, il est probable que ces victimes chercheront d’autres débouchés n’impliquant plus le dollar. Nous constatons aujourd’hui que les pays formant les BRICS s’activent dans ce sens, entraînés par le couple Chine-Russie. Une nouvelle instabilité pour la zone dollar, en quelque sorte.

Cours de change chahutés

Le malaise était perceptible la semaine dernière. Les cours de change ont été chahutés. Sur le marché des capitaux, les mouvements ont raidi les échelles des taux d’intérêt. Les taux à long terme ont progressé partout. La tendance obligataire était franchement négative. On dénombrait jusqu’à 10 fois plus de titres orientés à la baisse qu’inversement. Les titres asiatiques, en revanche, affichaient d’excellentes performances, surtout en USD, alors que ces émetteurs lancent actuellement des emprunts plutôt en EUR. Les titres pourris ont dû céder la place aux obligations de qualité. En EUR, la progression vieille de plusieurs mois des emprunts espagnols, irlandais et portugais, s’est arrêtée net.

Les banques continuent de submerger le marché primaire de leurs émissions nouvelles ou complémentaires. De nouveaux-venus font cependant leur apparition. Le producteur de parfum alimentaire allemand Symrise (sans notation) lance une émission à cinq ans en EUR rapportant 1,18% de plus que la moyenne du marché, ce qui lui conférerait une notation implicite de A. Le montant émis est important (500 millions) et l’emprunt bien accueilli. Les autres nouveaux-venus s’adressent aux plus fortunés d’entre nous. Comme Boing Group (B), la chaîne de car wash anglaise, qui émet pour la première fois en EUR et offre presque 6% de plus que la moyenne du marché. L’obligation est remboursable prématurément dès 2016 à 103,313%.

Le groupe textile français Holdikks (B+) émet un emprunt à 7 ans donnant 5,6% de plus que la moyenne du marché. L’accueil est néanmoins mitigé, le titre cote en dessous de son prix d’émission sur le marché gris. Il est lui aussi remboursable anticipativement dès 2017 à 103,375%. Titan (BB), le cimentier grec, a placé sans encombre 300 millions d’EUR à 5 ans. Le titre offre 3,54% de plus que la moyenne du marché et cote déjà à 101,34% (3,95%) sur le marché gris. IREN (sans notation), le distributeur d’électricité italien, donne 2% de plus que la moyenne du marché, en concordance avec celui-ci. Le sous-traitant allemand du secteur automobile Robert Bosch (AA-) émet un emprunt bien trop long à notre goût. Ses conditions sont toutefois conformes.

Rabobank (AA-) en dollar néo-zélandais (NZD) est plus qu’attrayante. Son premier coupon est payable le 16 décembre de cette année. L’African Development Bank (AAA, supranationale) en AUD est correcte. Notez qu’il s’agit d’un emprunt cotant en Australie. La Banque Mondiale (AAA, supranationale) en rouble russe (RUB) convient parfaitement pour la diversification, à condition d’accepter le risque de change.

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