Effritement inopiné du yuan chinois

Le danger ne guette pas uniquement sur le plan géopolitique, il est aussi présent sur le marché des changes. Une bombe y a en effet explosé. Le yuan chinois s’est effrité inopinément. Les analystes ont tôt fait de désigner le secteur du crédit dans le pays comme cause principale. Il est vrai qu’ils ne voient que cela.

Le yuan (CNY) est une monnaie non convertible. Son cours est fixé quotidiennement par la banque centrale du pays. Jusqu’à présent, le CNY est lié au dollar (USD), son cours ne peut s’écarter de plus de 1% du taux pivot, et ceci depuis avril 2012. Précédemment, l’écart ne faisait que 0,5%. C’est sous la pression des Etats-Unis que la Chine a non seulement élargi cette marge mais aussi relevé lentement le taux pivot. Depuis la mi-2011, la Chine permet l’utilisation à petite échelle de yuans sur des places qu’elle a désignées, dont Hong Kong est la principale. Ces yuans-là sont extraterritoriaux et désignés par CNH. Il est clair que leur cours évolue en parallèle à celui du CNY.

Entreprises occidentales et chinoises profitent de cette utilisation à petite échelle et émettent des emprunts en CNY qui sont réglés en CNH. Ce mécanisme permet aux autorités monétaires chinoises d’analyser sereinement le fonctionnement du marché libre. Tout le monde s’attend, en effet, à ce que la Chine rende son CNY totalement convertible prochainement. Pour les spéculateurs, ce régime de double change est une aubaine. Le CNH étant lié à l’USD, ils ne rencontrent aucun risque de change. De plus, le CNH rapporte en moyenne 2% de plus que l’USD.

Déséquilibre dû aux spéculateurs

Le marché du CNH a progressé lentement mais continuellement. Mais comme partout ailleurs, ce sont les spéculateurs qui l’ont déséquilibré. Persuadés que le CNY ne pouvait qu’augmenter, ils ont spéculé à la hausse sur ce dernier. On estime leurs positions à plus de 250 milliards USD. L’effet de levier de ces positions perturbe néanmoins le CNH qui dépassait depuis des mois le cours du CNY. Précédemment, la Banque centrale chinoise adaptait le taux pivot conformément à ce qui se passait sur le marché. L’année passée, pour endiguer quelque peu la spéculation, elle a laissé flamber le taux de l’argent au jour le jour jusqu’à plus de 25%. Ce qui a quelque peu désarçonné le marché. Les analystes s’étaient uniquement penchés sur les effets de cette situation pour la Chine, oubliant manifestement les spéculateurs occidentaux.

Depuis le début de cette année, les spéculateurs poussent le CNH inexorablement à la hausse. L’écart entre le CNY et le CNH augmentant, la Banque centrale chinoise a décidé mardi passé de baisser le taux pivot du CNY. Il fléchit inlassablement depuis. Par rapport à la semaine passée, le CNY a perdu 1,6% face à l’euro (EUR). Le CNH lui a forcément emboîté le pas, causant une panique auprès des spéculateurs. Ils ont dû clôturer hâtivement leurs positions, qu’on estime à plus de 100 milliards USD !

Baisse voulue par les autorités

Les analystes, futés comme ils sont, ont désigné d’emblée la précarité du secteur du crédit comme amorce à cet effritement. Mais comme les taux d’intérêt chinois n’ont pas bronché, il est évident que la baisse du taux pivot à été voulue par les autorités afin de stopper cet écart grandissant entre le CNY et le CNH.

Aucune communication n’a émané des autorités. Il est clair cependant que celles-ci ont lancé un message fort : on ne peut spéculer contre le CNY. La banque centrale pratiquera dorénavant une fixation plus aléatoire. Elle gardera un oeil sur les positions spéculatives et frappera chaque fois qu’elle le jugera nécessaire. La Chine sait que le gros des opérations sur le marché des changes n’a strictement rien à voir avec les transactions commerciales. Un marché qui brasse quotidiennement plus de 5.300 milliards USD alors que l’économie mondiale stagne, ne peut être peuplé que par des spéculateurs.

L’intervention vise aussi un but politique : quiconque fait fi de la Chine en assumera les conséquences. Le signal s’adresse principalement aux pays occidentaux : la Chine suivra son cours seule s’ils refusent de travailler de concert. Et si le CNY poursuit son effritement, la Chine compliquera les exportations de nombreux pays. Enfin, cette intervention n’est pas étrangère à ce qui se passe en Ukraine.

Marché des changes tendu

L’USD a souffert. Il a perdu du terrain face à l’EUR depuis qu’il est apparu que la croissance en fin d’année passée n’était pas aussi encourageante qu’annoncée. L’USD a cédé 0,8%. Le dollar australien (AUD) a été entraîné par la baisse du CNY et a fléchi de 0,85%. Le rouble (RUB) reste malmené. Il s’est tassé de 1,8%. Les autres devises liées aux matières premières se sont redressées, de sorte que l’effritement du RUB n’est que temporaire. Le réal brésilien (BRL) a récupéré 1,4% tandis que le rand sud-africain (ZAR) a bondi de 2,6% en avant.

Les tensions sur le marché des changes ont poussé les devises-refuges à la hausse. Le franc suisse (CHF) a gagné 0,4% et la couronne norvégienne (NOK) 1,1%. De nombreux glissements ont bouleversé le marché des capitaux. Les emprunts des pays en voie de développement ont progressé partout. Les émetteurs souverains se sont consolidés en EUR, tandis que les banques fléchissaient. Les échelles des taux d’intérêt se sont aplaties : les taux à court terme progressant légèrement tandis que les longs s’effritaient. Le mouvement restait néanmoins dérisoire.

La prudence est de mise sur le marché primaire

Certains émetteurs y apparaissent pour lancer leurs titres dont le produit est destiné à rétribuer leurs actionnaires. Cisco, par exemple, a émis pour plus de 8 milliards USD dans ce but. La firme compte racheter ses actions et pousser ainsi le cours vers le haut. Sans trop de succès, apparemment. D’autres firmes suivent son exemple. Pour l’instant, les firmes européennes s’abstiennent.

Deux émissions en EUR intéresseront certainement les petits porteurs. Hella (Baa2), le fabricant allemand de phares d’automobiles, lance un emprunt de courte durée qui n’offre que 0,6% de plus que la moyenne du marché. Les conditions sont donc chiches. Le fabricant français de matériaux de construction en aluminium Kerneos (B2) émet un emprunt à sept ans assorti d’un coupon semestriel. Son rendement affiche une plus-value de 4,3% par rapport à la moyenne du marché. Le titre n’est plus disponible aux conditions de souscription. Il faut déjà débourser 103,13% (5,24%) pour l’obtenir. Si la piètre qualité de l’émetteur et l’importance de la coupure ne vous rebutent pas, l’émission peut être acquise. Les autres émissions en EUR s’adressent aux institutionnels.

En devises exotiques, notre préférence va à la Commonwealth Bank of Australia (AA-) en AUD, à condition de l’acquérir sur le marché gris à 99,81% (alt.1). Frais et différence de prix peuvent s’élever jusqu’à 1,34%. Malgré son rendement aguichant, la Banque Mondiale (AAA, supranationale) en TRY est déconseillée. Optez pour la Banque de Développement Asiatique (AAA, supranationale, alt.2) qui garde l’avantage tant que frais et différence de prix ne dépassent pas 1,46%. La BEI (AAA, supranationale) en ZAR est correcte.

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